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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

mains de l’ennemi. Quant à moi, je pris ma montre et je la jetai dans un fossé avec ce que j’avais d’argent ; je brûlai aussi la miniature de ma pauvre femme, et je bourrai un fusil avec le cadre en or, bien déterminé à le faire avaler à un Ghazi avant de mourir. Heures sur heures passaient, et nous attendions à chaque instant le signal d’un assaut général. Nous voyions les ennemis cerner de toutes parts nos maisons, ils formaient au loin des masses noires, et étaient alors au moins vingt mille. »

Il paraît que les chefs proposèrent encore aux Anglais de leur laisser la vie sauve, pourvu qu’ils abandonnassent les cipayes à la fureur des Ghazis. Les officiers refusèrent ; mais les cipayes, se croyant perdus, tinrent conseil et résolurent de se chercher un passage les armes à la main. Ils partirent pendant la nuit, se perdirent dans les champs et dans la neige, et furent tués ou pris jusqu’au dernier. Alors les Anglais se rendirent.

Durant une captivité de plusieurs mois, ils endurèrent des souffrances cruelles. Le lieutenant Crawford raconte qu’ils étaient dix dans une petite chambre dont ils couvraient complètement le sol quand ils se couchaient ; pour prendre un peu d’exercice, ils étaient obligés de se promener, chacun à son tour, de long en large dans un espace de six pas. Ne pouvant changer de linge, ils étaient infectés de vermine, qu’ils passaient tous les matins une heure à pourchasser. La porte et la fenêtre de leur chambre étant constamment fermées, ils respiraient à peine dans une atmosphère étouffante. Le colonel Palmer fut mis à la torture, et les autres officiers furent menacés du même supplice, s’ils ne livraient pas un trésor qu’on les accusait d’avoir enfoui. Un d’eux mourut, et ses camarades lurent l’office des morts sur son corps, chacun croyant bientôt le suivre. Ils vécurent ainsi jusqu’à la fin du mois de juin, et à cette époque furent dirigés sur Caboul, où Mahomed-Akbar les reçut avec une excessive bienveillance. Nous les y retrouverons plus tard ; nous avons maintenant à rejoindre les prisonniers de l’armée de retraite, qui étaient, depuis le 10 janvier, séparés de leurs compagnons, et que la captivité sauva de la mort.

Emmenés dans le camp du sirdar, ils y retrouvèrent le major Pottinger et les officiers qui avaient été livrés comme otages quelques jours auparavant. Une des dames y retrouva aussi son enfant qu’elle croyait perdu, et qui avait été ramassé sur la route. Les chefs afghans les accueillirent avec beaucoup de courtoisie, et leur abandonnèrent trois cabanes, où ils eurent à choisir entre le froid et une