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JOURNAL D’UN PRISONNIER DANS L’AFGHANISTAN.

même que les blessés qu’on prenait encore vifs étaient ainsi rôtis jusqu’à la mort. »

La ville de Caboul fut aussi détruite de fond en comble, sauf le quartier des Kusilbachis ou Persans, que les Anglais voulaient ménager. Le célèbre bazar, la gloire et l’ornement de l’Asie centrale, et qui datait du règne d’Aureng-Zeb, fut ruiné et brûlé. C’était un magnifique bâtiment, composé d’une file d’arcades longue de six cents pieds et large de trente, et décoré de peintures à fresque. Tous les voyageurs en parlent comme d’une merveille ; c’était là qu’avaient été exposés les restes mutilés de sir William Mac-Naghten. L’œuvre de destruction dura deux jours. C’est ainsi que la ville la plus riche et la plus florissante de cette partie de l’Asie, qui l’année précédente avait une population de 60,000 ames, devint un monceau de ruines. Les Anglais épargnèrent la citadelle, qu’ils laissèrent au pouvoir d’un fils de Shah-Soudja, un enfant de seize ans. La plus grande partie des habitans avait évacué la ville avec Mahomed-Akbar, et s’était réfugiée dans les montagnes. Ghizni, Jellalabad, et tous les forts qui étaient dans les défilés, furent également détruits ; l’armée anglaise se retira de l’Afghanistan comme un fleuve après une inondation, ne laissant sur son passage que la ruine, la désolation et la mort. Du reste, nous n’exprimerons point ici l’indignation que ces cruautés inutiles doivent soulever dans tous les cœurs ; nous devons au peuple anglais la justice de dire que, lorsque le récit de ces excès sauvages est arrivé en Angleterre, il n’y a soulevé qu’un cri unanime d’exécration.

Le gouverneur-général de l’Inde, lord Ellenborough, semble seul avoir pris sa gloire au sérieux, et il a voulu déployer une pompe extraordinaire pour la réception des prisonniers. Les lettres de l’Inde disent qu’il doit aller au-devant de lady Sale, et la prendre avec lui dans son palanquin et sur son éléphant pour parader triomphalement dans le camp de Ferozepore. Il paraît aussi que Dost-Mohamed a reçu l’ordre de venir se présenter au lever du gouverneur-général avant de retourner dans l’Afghanistan. On sait que lord Ellenborough lui rend la liberté, et, comme en même temps il a pris soin de laisser la citadelle de Caboul au pouvoir d’un autre prétendant, c’est une manière comme une autre d’entretenir l’anarchie et la discorde civile au sein de ce malheureux pays. On ne sait quel accueil le gouverneur-général aura fait à son prisonnier. La meilleure politique était de le recevoir honorablement, car Dost-Mohamed est sans con-