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d’achever. Les hommes d’état doivent toujours se demander : Comment cela finira-t-il dans l’hypothèse la moins favorable ? La Suisse a besoin d’être traitée comme un pays gravement malade ; elle l’est par ses divisions, par ses luttes intestines, par une déplorable recrudescence de l’esprit local. Si le gouvernement fédéral, au lieu de ménager la situation délicate du pays, y apporte une main rude et cherche à y appliquer des remèdes violens, il attirera sur la Suisse des malheurs qu’il sera le premier à déplorer. Ajoutons un dernier mot. Loin de nous la pensée que la circulaire du directoire ait été une inspiration de l’étranger. Nous aimons à croire qu’elle ne lui est pas venue de Vienne ni de Rome ; mais notre conviction sera-t-elle partagée par tout le monde en Suisse ? L’esprit de parti ne s’emparera-t-il pas de la mesure pour l’envenimer, et même des hommes modérés ne seront-ils pas tentés de se séparer dans ce cas du vorort, de crainte de seconder les vues de l’étranger ? On rappellera des coïncidences accidentelles, mais fâcheuses : la rentrée solennelle du nonce à Lucerne, l’arrivée en Suisse du ministre d’Autriche ; on dira que c’est à ce moment que la circulaire a paru. Le gouvernement de Lucerne semble avoir oublié qu’il est le produit d’une contre-révolution. Libre sans doute aux Lucernois de se donner tel gouvernement cantonnal que bon leur semble ; mais quand il s’agit de gouverner la Suisse, le conseil d’état de Lucerne ne doit pas oublier que la grande majorité de la confédération se compose d’hommes voués aux principes nouveaux. On peut être contre-révolutionnaire dans les conseils de Lucerne, mais à la condition d’être modéré, raisonnable, prudent dans les conseils de la Suisse ; car, encore une fois, la contre-révolution n’a pas pour elle les forces du pays, et nous la croyons incapable de compter sur des forces étrangères au pays.

Un traité vient d’être conclu entre la Russie et l’Angleterre. Les avis se sont partagés sur la question de savoir quels sont les avantages que peuvent s’en promettre les deux états contractans, et quels rapports en résulteront pour eux. Les uns ont vu dans ce traité la preuve frappante d’une liaison de plus en plus intime entre la Russie et l’Angleterre ; à les entendre, une profonde pensée politique se cache sous une convention commerciale ; la Russie a dérogé à ses principes administratifs pour complaire à l’Angleterre, et la détacher de plus en plus de l’alliance française. D’autres, au contraire, n’ont vu dans la convention qu’un acte fort insignifiant, un pur traité de navigation qui ne change rien au tarif des deux pays, qui ne modifie en rien les conditions essentielles de leur commerce, et qui n’assure pas à l’Angleterre des avantages assez considérables pour influer sur sa politique. Les deux opinions s’écartent également, ce nous semble, de la vérité. Le traité anglo-russe n’est pas un traité de commerce proprement dit, cela est vrai, il ne modifie pas les tarifs ; les importations et les exportations demeurent soumises aux mêmes lois qu’auparavant. Il est donc certain que le traité n’est pas de nature à garantir à l’Angleterre un grand débouché et à lier ainsi les destinées et l’avenir des deux pays. Il y avait un peu d’affectation dans quelques cris de joie qu’on