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aussi le tableau des souffrances de l’homme austère qui n’a jamais su faire fléchir la vertu devant l’intérêt. On retrouve dans le nouveau roman de M. Souvestre une donnée qu’il avait développée dans le premier ouvrage de sa série. La lutte de l’égoïsme et du dévouement, déjà retracée dans Riche et Pauvre, se reproduit dans le Mât de Cocagne avec des circonstances nouvelles. Le duel n’est plus cette fois entre la fortune et la misère, il est entre l’ambition et le mérite, et c’est l’ambition qui triomphe. Un homme qui a reçu de la nature un cœur généreux, un esprit supérieur, meurt dans l’oubli après une vie misérable ; un autre, souple et rampant, fait de la lâcheté une arme à son égoïsme et s’élève au pouvoir. Nous n’analyserons pas l’action qui sert à mettre en relief l’idée principale du Mât de Cocagne. Cette action est heureusement conçue et se développe avec intérêt. Nous regrettons seulement que l’auteur n’ait pas introduit dans son œuvre un troisième type qui, entre l’ambition servile et la vertu stoïque, personnifiât les véritables qualités de l’homme d’état. M. Souvestre aurait été ainsi amené à peindre la vie politique sous de moins sombres couleurs ; sa conclusion, moins absolue, aurait été plus vraie. Considéré comme peinture de mœurs énergique et attachante, le Mât de Cocagne mérite d’ailleurs de sincères éloges, et on doit désirer que M. Souvestre continue cette série d’études sur la vie réelle où il pourra déployer à l’aise ses qualités d’observateur exact et de narrateur émouvant.


— Parmi les créations de l’art du moyen-âge, la danse des morts est peut— être celle où le génie de cette époque a laissé sa plus fidèle empreinte. L’érudition moderne a dû plus d’une fois rechercher les origines de ce fantastique poème, et elle a réussi à éclairer d’assez vives lueurs le problème qu’il offrait à sa curiosité. Après les recherches savantes de M. Peignot, de M. Douce, M. Fortoul a voulu traiter de nouveau un sujet qui, après avoir été étudié à un point de vue purement historique, pouvait être repris avec intérêt au point de vue de l’art. Le petit volume qu’il vient de publier, Essai sur les Poèmes et les Images de la Danse des Morts[1], accompagné d’une suite de gravures exécutées d’après Holbein, donne une idée précise des transformations qu’a subies, sous l’influence du développement intellectuel de l’Europe, le thème primitif de la danse macabre. M. Fortoul prouve que ce thème fut emprunté à la France par les artistes du moyen-âge. Il passe en revue les peintures gothiques de la danse des morts exécutées à Bale, à Berne, à Strasbourg, puis les poèmes inspirés par ces peintures. Il arrive enfin à l’œuvre qui résume tous ces efforts divers de l’art du moyen-âge en les conciliant avec l’esprit de la renaissance. Un libraire de Lyon publia au commencement du XVIe siècle, sous le titre de Simulacres de la Mort, un ouvrage

  1. 1 vol.  in-18, chez Jules Labitte, quai Voltaire