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de douanes qui blesse les intérêts d’un état du sud ; celui-ci nomme aussitôt une convention, déclare la loi non avenue, arme sa milice, et force le général Jackson, ce président aux habitudes si despotiques, à céder sans même combattre. Au nord, l’état de l’Ohio se trouve trop à l’étroit dans les limites fixées par le gouvernement central ; c’est aux armes qu’il en appelle. Il déclare la guerre à son voisin, l’état du Michigan, et le congrès, revenant sur sa décision première, se voit contraint de sacrifier celui-ci. Des citoyens de New-York voyagent en Virginie ; un comité de vigilance, sans autre autorité que celle qu’il s’est attribuée, croit reconnaître en eux des apôtres de la liberté des noirs ; il leur applique la loi de Lynch, les pend, les brûle à petit feu, leur fait subir des tourmens dignes du poteau des Caraïbes, ou tout au moins les roule dans du goudron, puis les couvre de plumes et les expose aux insultes d’une populace ameutée. Un des plus riches négocians de New-York signale dans une brochure les abus et les dangers de l’esclavage ; les planteurs de la Louisiane répondent en mettant sa tête à prix. Devant ces actes de rébellion, devant ces attentats qu’encouragent des populations entières, les autorités locales, le gouvernement central, gardent également le silence. — Nous ne voulons pas, disent-ils, compromettre l’Union. — Comme si après de tels actes l’Union existait encore !

On peut bien, pour sauver quelque temps les apparences, fermer les yeux et laisser faire. En attendant, d’autres germes de dissolution se développent à l’ouest. Les états fondés par les émigrans n’ont pas cette tradition d’une origine commune, la seule qui rattache entre eux les états du sud et du nord. Ici, d’ailleurs, la population, composée en partie de Suisses, d’Allemands, d’Irlandais, présente déjà ses caractères propres. Plus elle s’étendra dans l’intérieur des terres, plus elle s’individualisera. Du croisement de ces divers peuples, du mélange de leurs langues naîtra une race distincte parlant un dialecte particulier. Dès-lors les derniers liens qui unissent encore ces jeunes états à leurs frères aînés se trouveront usés et tomberont d’eux-mêmes. Les intérêts matériels, cette loi suprême des Anglo-Américains, aideront à la séparation. Dans l’ouest, une terre prodigue n’attend que des cultivateurs et des industriels pour livrer toute sorte de richesses. Le Mississipi et ses affluens ouvrent mille voies de communication entre leurs riches vallées et le golfe du Mexique. Les Américains de l’ouest iront-ils franchir les Alleganis pour gagner les ports de la Pensylvanie ou de la Nouvelle-Angleterre ? Non, ils resteront chez eux, et à côté des états du littoral ils