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LA FLORIDE.

des lois qu’ils ont eux-mêmes établies. Dans l’ouest, la doctrine du self-government s’applique non-seulement à la chose publique, mais encore aux individus. On reconnaît ici les dignes fils de ces aventuriers qui ne trouvaient que des entraves dans les lois protectrices de la société et cherchaient au milieu des bois une indépendance farouche. Sans cesse en lutte avec les élémens, avec les bêtes féroces, avec les sauvages, habitués à ne compter que sur eux-mêmes et ne trouvant de secours que dans la force physique, les habitans des nouveaux états ont perdu peu à peu le respect des institutions et jusqu’au sentiment religieux, si prononcé chez leurs pères. Dans les bois, deux chasseurs qui se rencontrent s’abordent le doigt sur la détente de leurs carabines. Au milieu des villes, c’est encore à cette arme qu’ils en appellent pour vider le moindre différend. Pendant une session de la législature, un général de la milice du Tennessee entre en discussion avec un journaliste de Nashville : le lendemain il le rencontre, et, sans plus de provocations, lui tire un coup de fusil à bout portant. La justice évoqua l’affaire ; mais le général était riche : il déposa quelques sacs de dollars comme caution et continua à siéger dans l’assemblée législative. Plus tard il en fut quitte pour une légère amende. Ce fait caractérise parfaitement le peuple dont nous parlons. L’Anglo-Américain de l’ouest ne respecte au monde que deux choses : les dollars et la carabine.

De cette population de l’ouest dépend surtout l’avenir des États-Unis. C’est elle qui, grace à l’esprit entreprenant, à l’inflexible ténacité qu’elle tient des Yankee, à l’énergie indomptable qu’elle puise dans son genre de vie, avance chaque jour en suivant le cours du soleil, abattant les forêts, franchissant les montagnes, domptant les fleuves les plus rapides, et transformant en riches provinces, en nouveaux états, les vastes solitudes de l’Amérique septentrionale. Pour fruit de ses labeurs, elle conquiert un monde. Un jour, des monts Alleganis à l’Océan-Pacifique, la terre appartiendra tout entière aux descendans de ces infatigables pionniers. On dirait qu’ils ont conscience de la grandeur de leurs destinées. L’Anglo-Américain de l’ouest méprise tout ce qui n’est pas né sur le sol des États-Unis ; il commence à dédaigner ses concitoyens des bords de l’Atlantique. Bientôt, s’il n’obtient pas dans le congrès la prépondérance qu’il croit lui être due, il revendiquera jusque dans les formes cette indépendance absolue dont il jouit déjà de fait.

Tous les peuples ont eu leur temps de barbarie et de moyen-âge, périodes de grandes guerres et de combats particuliers où les élé-