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moyenne. Les nègres émancipés se replacent d’eux-mêmes sous la loi du bâton.

Il est fort beau sans doute de se livrer à des spéculations philantropiques, il est surtout aisé de tracer l’effroyable tableau de l’esclavage et de la dégradation qui en est la suite, d’écrire des pages pleines d’une sensibilité touchante sur la confraternité de tous les hommes. Reconnaissons pourtant avec bonne foi que la plupart des livres publiés sur ces matières portent un caractère évident d’exagération, pour ne pas dire plus. Tous les voyageurs qui sont allés juger par leurs propres yeux, sans avoir pris d’avance des engagemens par la publication prématurée de leurs opinions, sont d’accord sur ce point. À l’appui de ce qui précède, nous croyons devoir citer textuellement un passage emprunté à M. de Castelnau.

« Lorsque, arrivant d’Europe avec mes idées de liberté universelle, je vis pour la première fois des esclaves, je ne pus les regarder sans une vive pitié et sans me sentir profondément attristé de leur sort. Bientôt je les vis joyeux et paraissant heureux ; et étonné, j’inscrivis sur mon journal : L’esclave peut rire ! Un jour, à Richemont, j’appris qu’une vente d’esclaves allait avoir lieu. Je fus quelque temps indécis : un sentiment de curiosité me poussait vers le lieu de la scène, tandis que mes principes arrêtaient mes pas. Il me semblait que m’y rendre était en quelque sorte sanctionner par ma présence un sacrifice humain. Cependant, voyageur venu dans ce pays pour étudier ses institutions, je devais tout connaître, et je me rendis lentement au lieu indiqué. — Je vais donc voir un marché d’esclaves, me disais-je ; de malheureux captifs nus, ou plutôt recouverts par le sang ruisselant des plaies causées par le fouet, vont se présenter à mes regards ; il faut préparer mon esprit à un spectacle d’horreur, et déjà le cri de la mère à qui on enlève son enfant ne vient-il pas frapper mon oreille ? La femme arrachée à son époux va se tordre dans les angoisses du désespoir, et tous, malgré leurs pleurs, seront vendus, vendus pour toujours, et leurs enfans vendus aussi ! — Le marché était le magasin du commissaire-priseur ; au milieu de la foule, quelques nègres bien mis causent et rient. — Les barbares ! me disais-je ; rire quand leurs semblables doivent éprouver des tortures si cruelles ! — Mais j’attends en vain, les esclaves ne viennent pas, ou plutôt j’apprends que ce sont ceux-là même dont je viens de blâmer l’insensibilité ! Un homme seul pleurait ; lui au moins comprend sa position, et avec intérêt je lui demande la cause de ses