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moralité dans les rangs inférieurs, voilà une formule plus courte et plus sérieuse que ne le sont les formules chimériques. Elle ne sera pas plus obéie que les autres, et peut-être faut-il en accuser ceux qui ont combattu, sous divers prétextes, l’autorité du devoir. L’égoïsme humain ne saurait capituler que devant une forte éducation de l’ame et un travail intérieur qui conduisent au détachement et à l’abnégation. Quelques ames d’élite ont seules une générosité instinctive ; pour les autres, c’est le fruit du temps et de l’exemple. Il est triste de dire que l’école des grands dévouemens se perd et que celle du calcul personnel gagne chaque jour du terrain. On a rendu la bride aux penchans : ils vont où la nature les emporte.

Il est donc de l’honneur de l’écrivain de ne pas déserter la défense des classes inférieures : la déclamation a rendu le terrain difficile ; mais on peut reprendre les choses où elles étaient avant les écarts de l’exagération et la fièvre des utopies. C’est une mission si sainte, qu’elle se relèvera sans peine du tort qu’on lui a fait et des déviations qu’on lui a imprimées. Quand on étudie le problème avec quelque maturité d’esprit, on y découvre une foule de détails par lesquels déjà le bien pourrait se réaliser. Il ne s’agit pas sans doute de métamorphose complète, de changement à vue ; ces prétentions doivent être abandonnées aux rêveurs. Mais dans un coup d’œil rapide sur les souffrances sociales, peut-être est-il possible de ramener l’attention sur quelques données, sinon neuves, du moins utiles et inspirées par le plus simple bon sens. La misère, le vice et le crime, ces trois fléaux, semblent être pour long-temps les accessoires obligés de toute civilisation humaine. C’est le fruit des passions : les passions n’abdiquent pas. Il ne reste dès-lors qu’à chercher des remèdes partiels, des moyens d’atténuation, tout en faisant, comme l’on dit, la part du feu. Telle est la pensée de la récapitulation qui va suivre.

Avant de l’aborder, il est convenable pourtant d’écarter une accusation préliminaire qui a été souvent reproduite. On a dit et répété que la misère et le crime sont un produit fatal de la civilisation, destiné à s’accroître en raison directe de l’activité industrielle d’un peuple et des victoires que le génie humain remporte sur la nature. C’est là une erreur gratuite. Évidemment on déprécie le temps présent au profit du temps passé, et la difficulté des moyens de vérification donne des forces à cette méprise. En effet, les élémens historiques manquent lorsqu’on veut examiner avec quelque précision ce qu’était, dans les siècles antérieurs, la condition des classes infé-