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est précisément ce qui prêterait le plus à une discussion. Il n’est pas vrai d’abord que la prostitution soit partout tolérée et autorisée ; elle ne l’est pas dans les pays musulmans ni dans plusieurs villes de la Suisse, où aucun inconvénient ne résulte de cet état de choses. Sans doute, il est difficile de combattre le concubinage et les liaisons irrégulières ; mais si l’action publique est impuissante pour la répression des vices, si elle ne peut imposer aux citoyens ni la continence, ni la réserve, elle n’est pas tenue à organiser le dérèglement et à donner des garanties au désordre.

Le régime suivi actuellement a un autre écueil bien plus grave, celui d’autoriser l’exploitation en matière de débauche. La police accorde en effet une sorte de sanction à ce trafic abject qui se pratique dans les maisons de tolérance Elle les classe et les patente, elle leur reconnaît une vie presque légale. Quoi de plus dangereux, et quelle prime donnée au pervertissement ! Ce sont là autant de foyers de séduction que l’on crée, autant d’écoles d’infamie. L’établissement une fois fondé, il faut qu’il marche, qu’il se recrute, et aucun moyen ne répugne aux créatures qui président à ces spéculations. Liées par un contrat léonin, les victimes se débattent en vain sous cette horrible étreinte ; elles doivent tout à l’entreprise, leur santé, leur pudeur, leur temps ; l’entreprise ne leur doit que le vêtement et la nourriture. Contrat odieux ! et la police lui donne une sorte de valeur en brevetant l’exploitation ! Vraiment, c’est trop de condescendance. Que la prostitution directe soit soufferte, puisqu’on ne peut l’empêcher, et que les natures vicieuses disposent d’elles-mêmes ; mais qu’on abolisse la prostitution indirecte, la prostitution en commandite, collective et enrégimentée. On dira que l’usage a consacré cet abus ; mais l’usage maintenait aussi les jeux publics, et pourtant ils ont disparu sans inconvénient réel et au grand avantage de la moralité publique. Dans l’un et dans l’autre cas, l’objection la plus sérieuse a été la crainte de sortir de la notoriété pour entrer dans la clandestinité, et de voir des maisons dangereuses et ignorées de la police remplacer des maisons assujéties à une surveillance assidue. Quant aux jeux publics, l’expérience a prouvé que cette appréhension est chimérique : pourquoi n’en serait-il pas de même pour la prostitution ? D’ailleurs, c’est là un risque que l’on peut courir en tout état de cause : quand le vice aurait moins de sécurité, la morale n’y perdrait rien.

Si de la région du vice on passe dans celle du crime, on y rencontre cette écume sociale, déshonneur de la civilisation et fléau des