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LA SOCIÉTÉ ET LE SOCIALISME.

plus regrettables et douloureux que ceux d’une mortalité plus grande parmi les voleurs et les assassins. Pour l’honneur du drapeau, nos soldats campent dans les marais pestilentiels de l’Afrique, et la fièvre éclaircit leurs rangs plus que la balle des Arabes. Sous nos yeux, la partie laborieuse de la population habite tantôt des logemens sans air ni soleil, tantôt des ateliers insalubres : à un salaire à peine suffisant s’ajoutent pour elle la perspective d’une suspension de travail et les charges de la vie de famille. Parmi ces ouvriers, il en est qui sont voués à des métiers notoirement dangereux, comme les plombiers et les verriers, et pourtant on les voit se résigner courageusement et tomber à leur poste comme d’intrépides soldats. Ainsi la société ne peut pas porter aux hommes méritans tous les secours dont ils ont besoin : elle ne peut ni les soustraire à un milieu délétère, ni les affranchir des incertitudes de l’existence ; et l’on voudrait qu’elle épuisât, vis-à-vis du crime, la mesure des soins et des attentions, que, non contente d’assurer aux détenus une nourriture abondante et saine, des cellules aérée, des vêtemens, un lit, des médicamens au besoin, elle s’inquiétât minutieusement des conséquences de la réclusion et reculât devant l’idée d’augmenter d’un ou deux pour cent le chiffre de la mortalité annuelle ! Non, cette sollicitude serait immorale et injuste : la détention doit conserver un caractère expiatoire ; en adoucir outre mesure les conditions, c’est donner un encouragement au crime, c’est abolir la crainte du châtiment.

Dans l’intérêt de la sécurité publique, il est donc temps de briser le faisceau que les malfaiteurs sont parvenus à former, et de les combattre par l’isolement. Une civilisation comme la nôtre ne doit pas supporter le spectacle de cette fédération du vice qui a des points de réunion permanens, des chefs, des espions, une hiérarchie, un code et un idiome. Si le régime cellulaire peut, comme il y a lieu de le croire, rompre une aussi malfaisante ligue, il importe de ne pas en différer l’expérience. Les adversaires de l’isolement ne discutent guère que sur des adoucissemens de détail et des difficultés d’exécution. Il est aisé de concilier ces dissidences et de trouver une combinaison qui, sans altérer l’efficacité de ce régime, en tempère les inconvéniens. Quel qu’en soit d’ailleurs le mode, une réforme est urgente, surtout depuis que la littérature va prendre des héros et des héroïnes dans les régions où l’on parle l’argot. L’affiliation des malfaiteurs doit être anéantie : qu’on sache prendre une mesure décisive, et bientôt elle n’existera plus que dans les romans.