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hommes, sorte de juridiction de famille chargée de vider les différends entre les ouvriers et les maîtres.

Cette question est une de celles qui ont pu mettre en relief le caractère des ouvriers. Un homme sorti de leurs rangs, un compositeur typographe, avait fait imprimer à ses frais un petit livre où était débattue cette question des conseils des prud’hommes. Les ouvriers, quand il s’agit d’eux, ont le tort de ne pas savoir limiter leurs prétentions. Boyer s’était montré plus sage, quoiqu’il allât encore au-delà des concessions possibles. Il fut désavoué par les siens, méconnu et délaissé ; il n’a pas survécu à cette épreuve, il est mort le désespoir dans l’ame. L’organisation d’un conseil des prud’hommes, même incomplète, était pourtant un bienfait. Les grandes villes industrielles de France, Lyon, Saint-Étienne, Rouen, Reims et plusieurs autres jouissent depuis long-temps de cette institution, qui n’a présenté sur ces divers points que d’excellens résultats. Dans l’ensemble du royaume, le nombre des affaires vidées devant cette juridiction exceptionnelle s’est élevé, de 1830 à 1834, à 60,555, dont 58,330 ont été conciliées, c’est-à-dire 29 sur 30. 56 affaires seulement sont arrivées en appel. Lyon, en 1835, a eu 3,885 contestations portées devant le conseil des prud’hommes, sur lesquelles 3,714 ont été conciliées et 172 jugées. Saint-Étienne, en 1836, sur 2,616 instances, a compté 2,591 arrangemens et 25 jugemens. Rouen, dans le cours de cette même année, a vu passer 1,006 affaires donnant lieu à 967 conciliations et à 25 jugemens. Aucun appel n’a été formé pour ces diverses sentences, ce qui est un témoignage évident de la justice des décisions.

Ainsi c’était déjà un progrès que de réaliser à Paris, dans des conditions analogues, une institution qui fonctionne avec succès dans nos premières villes industrielles. À l’épreuve, on aurait pu juger si quelques améliorations étaient nécessaires, et les réaliser graduellement. Il n’en a pas été ainsi : la mesure a été livrée à la discussion, et dès-lors les exigences se sont donné carrière. C’est surtout à propos de la composition des conseils que le débat a pris de la vivacité. Jusqu’ici les entrepreneurs d’industrie en ont fourni l’élément principal : quelques chefs d’ateliers, contre-maîtres et ouvriers patentés complètent le personnel de ces tribunaux conciliateurs. Sans doute l’intérêt du maître, représenté dans une proportion inégale, y conserve la haute main ; mais on conçoit combien cette circonstance doit inspirer de retenue aux manufacturiers opulens, aux notabilités industrielles, que l’élection investit de ces pouvoirs. Rare-