Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/808

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
802
REVUE DES DEUX MONDES.

débauche et à l’imprévoyance. Dans tous les cas, la société n’en saurait être responsable, et il serait puéril de vouloir mettre à sa charge les maux qui résultent des écarts personnels et des fautes privées.

Un autre travers dont la statistique aurait dû se défendre, c’est l’exagération ; en toute chose, la mesure est inséparable de la vérité. On s’imagine trop facilement que, pour la défense de ceux qui souffrent, la déclamation est permise et l’enluminure légitime. S’il y a erreur, on croit que c’est une erreur qui honore, et que l’intention couvre et domine le fait. Il serait temps de renoncer à ce sophisme. L’un des principaux obstacles à toute amélioration, même de détail, est précisément cette absence de modération et ces prétentions excessives. Exagérer ce qu’il y a à faire, c’est offrir un prétexte aux hommes qui veulent que rien ne se fasse, c’est desservir ceux qu’on prétend secourir. Les tableaux trop rembrunis, loin d’avancer les réformes, les éloignent et les paralysent ; personne ne se charge volontiers des entreprises hasardeuses et des cures désespérées.

Ces exagérations des statisticiens, certains philosophes les ont partagées, et par philosophes on entend ici ces rêveurs à la suite qui ont essayé de toutes les chimères sans pouvoir se fixer à aucune. Jouets d’une vanité maladive, ces hommes n’avaient ni assez de puissance pour professer l’erreur ; ni assez de bon sens pour servir la vérité. Avec plus d’orgueil que de facultés, plus d’audace que de lumières, ils étaient condamnés à se vêtir des lambeaux de vingt systèmes disparates, et à s’agiter, sans jamais conclure, dans un cercle d’hallucinations. Les socialistes de première main, et les écoles qui en sont issues, ont eu du moins le sentiment d’une théorie complète, et l’ont développée avec une vigueur peu commune. Même en les combattant, on doit rendre justice aux qualités qui les distinguent. Chez les nouveaux socialistes, rien de pareil : les prétentions ont grandi, l’intelligence a disparu. L’emphase remplace l’inspiration, la médiocrité perce sous les airs de prophète. Les uns nuisent à la cause qu’ils veulent servir en substituant au langage de la raison les égaremens de la colère et en distillant sur les hommes plus de fiel que n’en devraient contenir des cœurs élevés. D’autres empruntent aux sectes et aux théories sociales des combinaisons qu’ils travestissent en y ajoutant des rêveries désormais vouées à un ridicule ineffaçable. Pour tromper les ames crédules, ces esprits fourvoyés poussent des découvertes dans tous les sens, tantôt vers le mysticisme, tantôt sur le terrain économique, heureux d’échapper ainsi à leurs incertitudes,