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et qu’après trois générations, chaque Français ne put plus posséder qu’un deux cent quarante-troisième d’hectare, nous devrions partager toutes ces alarmes et adopter, en dépit des principes de justice et d’égalité, en dépit de toutes les résistances, un parti décisif qui fermât le livre d’or de la propriété. Qui ne voit cependant que ce raisonnement a le même défaut que celui de Malthus, très vrai, mathématiquement parlant, mais considérablement modifié et atténué dans l’application ? Sans doute, la possibilité légale de la division à l’infini existe en France ; toutefois, comment use-t-on de cette possibilité ? Le nombre des cotes, et par conséquent celui des propriétaires, augmente chaque année ; mais ce que l’on ne remarque pas, c’est que cette division se fait aux dépens des grandes propriétés, qui se vendent, et non au détriment des petites, qui ne se morcellent pas autant qu’on le pourrait croire. Si, dans le partage des successions de nos paysans, quelques entêtés exigent leur parcelle d’une parcelle, le plus grand nombre comprend très bien le désavantage d’avoir un grand périmètre pour une petite surface, car les lisières des champs sont peu productives. On transige donc ; généralement la parcelle demeure à un seul, et puis le paysan voisin, qui est dans l’aisance, l’achète, l’agglomère à son champ et recompose ce que le partage avait décomposé. Je ne sais pas ce qui se fait dans les pays où la petite propriété est nouvelle et où l’expérience manque encore ; mais dans le mien, où elle date des époques les plus anciennes, et où l’expérience est acquise, la grande propriété se divise, tandis que la petite propriété s’agrandit, et la terre tend ainsi à prendre des proportions moyennes adaptées aux circonstances locales et aux véritables intérêts des possesseurs : limite naturelle qui nous dispense d’en chercher une artificielle dans la loi.

Quelle est donc cette limite fixée par la concurrence des propriétaires, et qui doit pleinement nous rassurer, car elle finira par s’établir partout, à moins de supposer le pays tout entier atteint de démence ? Elle est mesurée par le capital disponible pour la culture, capital qui n’est autre chose que ce que possède la moyenne des fermiers et des propriétaires français pour l’appliquer annuellement à la culture du sol. Sans doute, la grande culture bien exploitée, pourvue de capitaux suffisans, est plus productive que la petite culture privée des mêmes ressources. C’est dans cette situation relative qu’elle est envisagée par les Anglais, et ils ont mille fois raison de lancer l’anathème sur ces petites fermes dont les fermiers sont dépourvus de capitaux ; mais aussi la petite culture, avec des moyens