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conjura le colonel, par le pain de son empereur, de lui dire s’il était venu pour soutenir son parti ou celui des hospodars. Balla répondit qu’il était venu prêter main forte à la nation dont Tserni-George était le chef suprême. « Laisse-moi donc baiser ta main à la place de celle du tsar, » répondit le paysan serbe ravi d’être reconnu souverain. Le lendemain, il envoya à Dobriniats et à Milenko les diplômes de ministres et de sénateurs ; ils pouvaient, leur disait-il, entrer dans l’opposition parlementaire ; la guerre entre les deux factions devait, dans l’intérêt même de la patrie, se retirer des camps pour ne plus se poursuivre que dans le sénat ; il ne voulait pour lui qu’une chose, le bonheur de toujours mener comme autrefois les Serbes à la victoire. Les deux champions refusèrent leur place au soviet, et, d’après l’arrêt de la skoupchtina contre ceux qui refuseraient d’obéir, ils furent menés sous escorte hors des frontières et passèrent en Valachie. Leurs partisans s’insurgèrent bientôt, toutefois en si petit nombre, que quelques centaines de momkes suffirent pour les dompter. Le voïevode Miloch, qui avait pris part à la révolte, vint demander pardon à George, et le dictateur, après lui avoir fait jurer fidélité, le renvoya généreusement dans sa voïevodie de Roudnik. Quant au métropolite Léonti, on se contenta de le transférer à Kragouïevats, pour l’empêcher d’ourdir de nouvelles intrigues avec le consul russe de Belgrad, Nedoba, successeur de Rodophinikine.

Délivré de ses rivaux, George exerça quelque temps une autorité toute royale. Ce héros, ami des lumières, de la liberté et de l’égalité civiles, était terrible dans sa justice ; il tuait de sa propre main ceux qu’il croyait coupables : on le vit immoler le knèze Theodosi, son ancien protecteur ; on le vit même faire pendre au seuil de sa demeure son propre frère qui, dans l’espoir de l’impunité, avait déshonoré une jeune fille. Il oubliait complètement une injure qui n’atteignait que lui seul, dès qu’il l’avait pardonnée ; mais les ennemis de sa nation le trouvaient sans aucune pitié. En face des Turcs, ce lion ne se maîtrisait plus, il faisait massacrer même les prisonniers auxquels il avait promis leur grace. Dans cette nature sauvage, rien ne tempérait la fougue des instincts puissans, mais bruts, que l’éducation seule parvient à dominer. Tel était le prince, tel était aussi le peuple de la Serbie.

Affaiblie par les victoires des Serbes en 1810, la Porte fit, l’année suivante, proposer à Tserni-George de le reconnaître comme régent de son pays aux mêmes conditions que les deux hospodars de Moldavie et de Valachie. Le dictateur ne pouvait accepter une telle pro-