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congrès de Vienne allait se réunir. On assurait qu’il redresserait tous les torts, qu’il rendrait à chacun ses droits. À cette nouvelle, un prêtre à longue barbe, le bâton de pasteur à la main, quitta la Serbie dévastée pour aller supplier, dans la capitale autrichienne, ceux qui se disaient les libérateurs des nations, d’accorder à la sienne, dans leur vaste protocole, l’aumône d’un article. Ce prêtre était l’intrépide Matthieu Nenadovitj de Valiévo. Déjà en 1814 il avait rédigé avec le voïevode Moler, fait signer par les autres chefs, puis porté lui-même à l’empereur François à Vienne, une supplique du peuple serbe et une demande de secours. Dans l’audience qu’il avait accordée à Nenadovitj, l’empereur avait promis qu’il intercéderait en faveur des Serbes près du divan, et tâcherait de les délivrer, ajoutant : « J’ai toujours été, suis et serai votre ami ; je vous ai envoyé du blé, de la farine, du sel, de bons conseils, etc. » Toutefois, il avait fini par déclarer loyalement qu’il n’interviendrait point par les armes. Cette audience, qu’un écrivain serbe, Miloutinovitj, a racontée longuement dans son Istoriia Serbie troegodichnia (Histoire serbe des trois années 1813-14 et 15), avait encouragé Matthieu Nenadovitj à renouveler en 1815 ses tentatives auprès du congrès. Le prêtre présenta au prince de Metternich, aux plénipotentiaires de Prusse, d’Angleterre et des autres états, des pétitions rédigées par les écrivains serbes Davidovitj et Frouchitj. Il alla d’un souverain à l’autre, les conjurant avec larmes d’avoir pitié d’un million d’hommes. Les jeunes monarques, les élégans diplomates, riant de la naïveté de ce barbare, se le renvoyaient les uns aux autres ; les plus sérieux lui demandaient avec étonnement : Qu’est-ce donc que la Serbie ? Pendant ce temps, à Belgrad, on empalait des hommes ; les knèzes, compromis, traqués comme des bêtes fauves par les suppôts de Miloch, étaient livrés à Soliman. En dépit de ces deux tyrans, l’héroïque milice des haïdouks se grossissait chaque jour ; les bandes de ces libres guerriers interceptaient les routes, attaquaient les caravanes turques. Mieux vivre en brigand que de languir esclave ! disait tout Serbe généreux, et il partait pour la montagne, n’emportant avec lui d’autre bien que sa carabine.

L’obor-knèze de Roudnik, qui avait une maison à Belgrad à l’endroit même où est aujourd’hui le palais du prince des Serbes, faisait une cour assidue au visir Soliman, et l’accompagnait souvent dans ses promenades à cheval. Quand il n’allait pas en personne présenter les têtes des anciens compagnons d’armes pris dans ses piéges, il les envoyait du moins par les plus recommandables de ses compatriotes.