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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Un jour, le capitaine Voutchitj, ancien soldat de Tserni-George, était auprès de Miloch, quand ses momkes arrivèrent des montagnes avec de nouvelles têtes de haïdouks, qu’ils se mirent à laver avant d’aller en faire hommage au visir. — Donnez cela à des Turcs, leur dit Voutchitj indigné, et rougissez d’aller porter de vos mains à l’oppresseur les têtes de vos frères ! Miloch, au même instant, s’écria : — Tu vas les porter toi-même à la citadelle, et sans retard, entends-tu, Voutchitj ? — Un non énergiquement accentué retentit dans le konak. Miloch ordonna aussitôt à ses gardes d’arrêter Voutchitj mais le capitaine, armant ses pistolets, resta impassible, les yeux fixés sur les gardes de l’obor-knèze, dont aucun n’osait l’approcher, malgré les foudroyantes injonctions de Miloch. Suivi par les momkes qui se glissaient derrière lui, et reculaient devant chacun de ses regards de lion, Voutchitj s’éloigna du konak, au milieu des bénédictions du peuple. Telle fut l’origine d’une rivalité qui ne s’est plus éteinte entre ces deux hommes, doués l’un et l’autre d’une grande finesse, d’une force de volonté et d’une vigueur de corps extraordinaires ; mais tous deux unissant à ces qualités une extrême violence : on remarque d’ailleurs chez Voutchitj une noblesse de sentimens qui manque entièrement à Miloch.

Les haïdouks finirent par entraîner dans leur révolte jusqu’aux paisibles laboureurs, et l’insurrection devint générale. Alors Miloch marcha en tête des troupes turques contre les Serbes, qui le battirent à plusieurs reprises, mais durent bientôt céder au nombre et capituler avec leur ennemi. Cent cinquante des principaux chefs serbes furent envoyés par l’obor-knèze à Belgrad, où leurs têtes ne tardèrent pas à orner les poteaux des quatre portes de la ville. Trente-six des plus dignes staréchines, parmi lesquels figurait l’igoumène de Ternovo, furent empalés par Soliman. Ses delis embrochaient les femmes et les brûlaient ; ils en étouffaient d’autres sous des amas de pierres, ou leur tenaient la tête plongée dans les sacs d’avoine qui s’attachent au cou des chevaux, jusqu’à ce que la cendre dont ces sacs étaient remplis eut suffoqué les malheureuses.

Malgré ces atrocités, Miloch demeurait ferme et prêtait appui aux Turcs, voulant à tout prix rester obor-knèze. Telle fut l’origine de la puissance de cet homme : chacun peut faire la comparaison de ces faits avec les prétendus commencemens de son règne racontés par l’historien allemand Ranke et par les Anglais Slade, Walsh, etc. Il ne tarda pas cependant à reconnaître avec douleur que, malgré son dévouement illimité pour les Osmanlis, il n’avait pas réussi à se faire