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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

hait dans cette lutte nationale ; tous les Serbes, oubliant ses torts, accouraient à son appel. Personne ne lui contestait une grande bravoure ; sa taille colossale imposait à tous, non moins que sa voix terrible, qui, dans le combat, s’entendait au milieu des plus vives fusillades. Sa femme Loubitsa, jeune et belle, l’accompagnait à cheval, des pistolets à la ceinture ; l’archimandrite Pavlovitj le suivait partout, et chaque matin lui donnait sa bénédiction. L’heureux chef des haïdouks goûtait ainsi dans sa tente toutes les jouissances de la terre et du ciel ; rien ne le pressait de traiter avec les Turcs. Appuyé par tout le peuple, il pouvait guerroyer hardiment jusqu’à ce qu’il eût rendu à son pays la glorieuse indépendance dont il avait joui sous George-le-Noir. Mais Miloch ne songeait qu’à son propre intérêt ; aussi sa carrière militaire fut-elle courte. Après quatre ou cinq combats, il s’aboucha avec le nouveau visir de Belgrad, Marochli-Ali, pacha bulgare animé de dispositions conciliatrices, et qu’on envoyait à la place du cruel Soliman. Suivi des knèzes de son parti, il vint trouver Marochli, se prosterna à ses pieds en présence de plus de cinquante beys, et, le front dans la poussière, se reconnut par trois fois raya ; après quoi l’honneur du café et du tchibouk lui fut accordé, et le visir le déclara son agent, son substitut parmi les Serbes. Dès-lors les deux peuples restèrent, l’un dans les forts, l’autre dans les monts et les villages ; à la guerre succéda une paix armée. Dans chaque nahia, un knèze serbe siégeait près d’un mousselim turc ; on pouvait appeler de leurs jugemens au tribunal de Belgrad, appelé la chancellerie serbe, et composé de douze staréchines, députés des douze nahias, qui, unis à l’obor-knèze, jugeaient sans appel et remettaient les condamnés aux bourreaux turcs. Chaque année, la skoupchtina répartissait l’impôt qu’il fallait payer au pacha, et dont le taux ne changeait plus. Ce tribut était remis au chef turc par les douze anciens de Belgrad. Une telle situation toutefois n’était que provisoire, tant que la sanction du sultan ne l’avait pas consacrée ; d’ailleurs les Serbes, avides d’une plus large existence politique, ne pouvaient long-temps s’en montrer satisfaits.

Du fond de la Bessarabie, où il s’était réfugié, Tserni-George avait suivi avec une vive sollicitude les évènemens dont la Serbie était le théâtre. Assuré que l’organisation provisoire était contraire aux vœux de la nation, il se dévoua encore une fois à la cause des Serbes et ourdit avec des patriotes grecs une conspiration dont le réseau devait embrasser toute la Turquie d’Europe. Quand il jugea le moment favorable, il quitta la Bessarabie et apparut tout à coup au