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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

les égaux de leur chef, s’entre-regardaient avec étonnement, la tête nue, silencieux, comme si le discours durait encore. Promenant sur la foule ses regards satisfaits, Miloch, après avoir joui quelque temps du sentiment de crainte qu’il inspirait, daigna sourire à ses sujets, et disposant en pontife du lieu saint où il siégeait, leur permit de se couvrir ; puis prenant le ton d’un père : « Soyez les bien-venus, mes amis, reprit-il ; êtes-vous tous en santé, tous en paix ? » La paix ne devait plus durer long-temps, car la rage couvait au fond des cœurs. Seuls, dans leur aplomb imperturbable, les courtisans criaient : Hourra à l’hospodar, au père du peuple, qui se sacrifie pour nous et que Dieu seul peut récompenser ! Et l’héritier des pachas descendait de son trône, se mêlait aux députés, leur serrait la main. « Allons, frères, à l’œuvre ! il faut répartir l’impôt selon la propriété ; n’ayons plus de soubachi (collecteur des redevances en nature), mais rassemblons nous-mêmes nos dîmes, et leur vente produira la moitié de la porèse (impôt foncier). — Tes plans, ô maître, sont admirables, disaient les kmètes résignés. Les salves de mousqueterie de la garde accompagnèrent le cortége du prince retournant à son konak, où le lendemain, 2 février, la skoupchtina se rendit pour baiser le pan de l’habit de son altesse (svetlost), et lui remettre par les mains de George Protitj l’adresse des représentans du pays, en réponse au discours du trône. Cette timide adresse osait à peine rappeler au prince la promesse de donner un code et de ne plus juger d’après son divin bon plaisir.

Le lendemain, la skoupchtina se rassembla de nouveau, mais à part et en plein champ, pour soumettre les projets de loi à un premier examen. La discussion fut vive et dura jusqu’à la nuit. Le prince soutint en personne le choc de la délibération ; mais, le jour suivant, il se plaignit, devant l’assemblée, d’avoir été mal compris, et ajourna les débats à la Saint-George prochaine. Le seul but de cette petite skoupchtina avait été de sonder le terrain et de préparer la grande usurpation de tous les pouvoirs sociaux par celui qui n’en devait être que le protecteur. Miloch avait voulu donner à ses kmètes une première leçon de la manière dont ils auraient à se conduire à l’avenir vis-à-vis du prince héréditaire. L’impossibilité de la résistance leur était prouvée par les canons et les baïonnettes qui désormais surveilleraient la skoupchtina. Après avoir ainsi formé les knèzes, Miloch lança cette meute docile parmi le peuple qu’elle devait plus tard amener à ses pieds comme une proie résignée à la mort.