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Les deux partis conclurent donc un armistice, et la grande skoupchtina fut déclarée ouverte. La presque unanimité des voix demandait la déposition de Miloch. George Protitj, dans des discours furibonds, excitait même l’assemblée à expulser la famille entière des Obrenovitj ; mais les vieillards, qui savaient combien il en coûte pour fonder une dynastie, voulaient conserver celle qu’ils avaient si chèrement achetée.

Ce fut dans ces circonstances, et le 19 janvier, que le ministre Davidovitj quitta la résidence de Miloch, Pojarevats, pour se rendre au sein de l’assemblée. Arrivé au camp national, il présenta des lettres que Miloch assurait être venues de la Russie, et où le tsar exprimait son intention de soutenir le kniaze par une armée. Mais un acte que lut aussi le ministre garantissait aux Serbes une amnistie entière et toutes les libertés civiles demandées par les knèzes. Ces concessions du prince commencèrent à calmer les insurgés, et la crainte des Russes acheva de les déterminer au rappel de Miloch. Après avoir stipulé des garanties pour sa sûreté, le kniaze rentra, le 14 janvier, dans Kragouïevats, non pas triomphalement, comme l’annoncèrent les journaux d’Allemagne, mais l’oreille basse, sans canons et sans baïonnettes. Voutchitj, président de la diète, l’accueillit par d’amers reproches, auxquels Miloch répondait en sanglotant : « Frère, je sais bien que le peuple me déteste ; tâche donc de l’apaiser, et je ferai tout ce qu’il demandera. » Le peuple, attendri par tant de preuves de repentir, se borna à demander une charte, et déclara qu’il viendrait la chercher le 2 février prochain, puis il se dispersa. La gazette officielle rapporte que tant de milliers d’hommes ne commirent pas le plus petit désordre dans leur marche et leur retraite, quoiqu’ils fussent tous livrés à eux-mêmes, n’ayant pas d’autres chefs que ceux qu’ils s’imposaient. « Oui, nous disaient les paysans que nous interrogions sur cet évènement, nous avons campé dans les jardins, et n’avons pas pris un oignon, quoique nous fussions affamés et sans vivres. »

Il est curieux de voir comment la feuille officielle raconte cette victoire populaire. « Miloch, dit-elle, voulant se rendre aux désirs exprimés par le sultan, s’était embarqué sur le Danube pour aller visiter sa hautesse à Constantinople. Mais les staréchines, effrayés du départ de leur père, avaient assemblé le peuple et étaient accourus en tumulte à Kragouïevats, le 7 janvier, en criant : « Nous ne laisserons pas partir notre prince bien-aimé, il se doit à la patrie ! » Et le kniaze avait daigné assurer qu’il resterait pour présider la grande