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de lire les journaux de Paris, le publiciste serbe était devenu tout français par ses sympathies et ses idées. Mal récompensé, après la guerre d’émancipation des énormes sacrifices d’argent qu’il avait dû faire à sa patrie, pour continuer la publication de cette gazette dont il envoyait les numéros en Slavonie et jusqu’en Turquie ; chargé de dettes, il dut s’enfuir d’Autriche comme banqueroutier, et, malgré l’ingratitude du gouvernement serbe, il vint lui offrir ses services. Pour le malheureux Davidovitj, il ne s’agissait plus de carrière littéraire ; il se devait à ses trois enfans et à leur mère, Grecque aimable et spirituelle dont l’affection avait plus d’une fois relevé son courage. Désormais il lui fallait exercer une profession pour vivre ; il se fit écrivain public à Belgrad. Le peu d’hommes instruits qui se trouvaient en Serbie ne tardèrent pas à reconnaître la supériorité de son esprit, et à le consulter en tout ; il devint l’oracle de la nation. Mais cet ardent réformateur n’osait pas toujours se raidir contre le despote. Davidovitj était époux et père ; il voulait assurer l’avenir de ses enfans. Cherchant à tenir le milieu entre Miloch et le peuple serbe, il travaillait à son émancipation, tout en ménageant le souverain. D’ailleurs son attitude austère et résignée imposait à Miloch, et mainte fois d’un de ses calmes regards il parvint à arrêter les emportemens du tyran. Pyrch, dans son voyage, remarque que tous les autres ministres habitaient le konak du prince comme s’ils n’eussent été que ses premiers domestiques ; Davidovitj seul avait sa demeure à lui ; seul, par l’ascendant de son caractère, il avait su gagner une position indépendante. Aussi, quand la nation, redevenue momentanément souveraine, voulut une constitution écrite, elle ne confia à nul autre qu’à ce loyal patriote le soin de la rédiger. Mais les agens russes de Stambol et de la Valachie comprirent bien vite la secrète pensée de l’homme qui avait écrit la charte serbe ; ils excitèrent Miloch à le maltraiter. De la présidence des ministres, Davidovitj tomba bientôt au rang de simple sénateur. Un jour que, pour assouvir sa rancune personnelle contre son ex-ministre George Protitj, le tyran lui faisait administrer, sans autre forme de procès, soixante-dix coups de bâton, Davidovitj, à la vue des lambeaux de chair arrachés des épaules de son collègue, apostropha le prince, présent à cette exécution, et lui rappela la charte qu’il avait jurée. Miloch, indigné, le fit mettre aux fers pour la troisième fois, et lorsqu’au bout de trois mois il sortit de son cachot, un oukase l’exclut du sénat et le relégua à Smederevo. Là, retiré dans une cabane qu’il éleva de ses mains, Davidovitj eut la douleur de voir Miloch détruire successivement