Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/884

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
878
REVUE DES DEUX MONDES.

Stoïane Simitj pressa vivement les citoyens de retourner chez eux jusqu’à ce que la commission d’examen pût présenter son travail, promettant qu’alors on les convoquerait de nouveau. Mais les insurgés se refusèrent à quitter Belgrad avant que le violateur de l’oustav eût évacué le pays, et Voutchitj leur objectant que, sans la permission des empereurs qui l’avaient établi, on ne pouvait chasser Miloch, tous les kmètes s’élancèrent vers le dictateur en criant : « Sers notre cause, frère ancien ! ne nous demande pas une faiblesse. Nos droits sont désormais sacrés, les tsars eux-mêmes les ont solennellement reconnus ; qu’importe après cela leur blâme, si le bon droit et le ciel sont pour nous ? Quoi qu’il arrive, il faut que justice soit faite ; jusqu’alors nous resterons à Belgrad. » De tant d’orateurs rustiques qui prenaient successivement la parole, rarement l’un interrompait l’autre ; tous ces hommes qu’agitaient des passions si vives portaient dans l’expression de leurs griefs et de leurs vœux une logique et une netteté singulières. Cette naïve éloquence finit par l’emporter. Les sénateurs déclarèrent la skoupchtina ouverte, et ainsi constitué en diète souveraine, le peuple signifia au sénat qu’il avait à répondre devant lui de la personne du prince confié à sa surveillance. Une heure après cette déclaration, deux officiers de garde, envoyés par le sénat, croisaient leurs épées devant la porte de Miloch prisonnier.

Le triomphe du parti national était si complet, que le sénat, après avoir gratifié d’un ducat chacun des six cents soldats réguliers qui lui étaient restés fidèles, les licencia le jour même de leur entrée dans Belgrad. Cette entrée triomphale de tous les chefs du peuple avec Voutchitj à leur tête eut lieu par la porte de Stambol. Groupés sur les murailles, les Turcs voyaient avec stupéfaction la fête civique dont leurs anciens rayas étaient les héros. Faisant un peu tard une démonstration patriotique, les dames de la maison régnante s’étaient rassemblées au palais d’Ephrem, pour voir du balcon passer le cortége.

Cependant Miloch captif poussait des cris de rage, assurant qu’il était étranger à la révolte de ses troupes contre l’oustav. Il demandait qu’on fît venir le métropolite et les évêques pour qu’il pût, la main sur la sainte croix, protester de son innocence. Tant d’hypocrisie ne pouvait qu’exciter le dégoût dans les ames loyales des guerriers serbes, et confirmer le peuple dans sa résolution de mettre fin à un règne abhorré. Le consul Vachtchenko espérait encore détourner le sénat de céder au vœu de ce petit peuple qui, selon lui, voulait se donner des airs de grande nation. Tout ce qu’il put obtenir fut qu’on limiterait le nombre des membres de la diète, et que la masse du