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qué depuis le jour ou il jura, en 1835, la charte serbe. Depuis ce jour seulement nous avons des droits, et ce qu’on nous a enlevé nous est légitimement dû. Quant aux crimes antérieurs de Miloch, nous remettons à Dieu le soin de notre vengeance. » Reconnaissant la modération de ces demandes, Voutchitj les appuya contre ses collègues ; il fit remarquer aux sénateurs qu’étant seulement les représentans de la nation, ils ne pouvaient pas, sans le consentement de la nation même, délivrer le tyran de ses dettes, qu’il fallait en dresser un relevé exact et le présenter à la diète, seule compétente en ce qui concerne les aliénations de biens privés et publics. Le soviet céda sur tous ces points, et il fut convenu que Miloch rendrait ses comptes depuis 1835.

Pendant cette longue séance, le frère du prince, Ephrem, président du sénat, caché derrière les siéges de ses collègues et appuyé au tronc d’un acacia, avait feint d’abord une dédaigneuse indifférence. Jouant avec son chapelet turc, il se tournait en souriant vers un Français qui se trouvait près de lui chaque fois que les orateurs populaires commettaient quelque gaucherie. Mais quand il vit le sénat entraîné et l’assemblée nationale s’ériger décidément en jury, il commença à trembler de tous ses membres et sembla près de défaillir ; il fallut que ses momkes le transportassent sur son cheval pour le ramener en ville.

Le consul russe Vachtchenko apprit avec une surprise mêlée d’effroi les conclusions de la diète ; qu’allait dire l’empereur son maître, quand il connaîtrait les désordres qui se passaient dans un pays protégé par ses aigles ? Il se hâta d’appeler Voutchitj, lui reprocha les excès barbares qu’il autorisait par sa présence, lui rappela les égards que les nations civilisées vouent à leurs princes, et le pressa d’user de son influence pour obtenir une rétractation de la skoupchtina. Le généralissime était arrivé chez le consul escorté de toute une cour de brillans capitaines : d’un signe de tête, il pouvait chasser du pays et Vachtchenko et la dynastie qu’il défendait ; mais alors le temps des haïdouks serait revenu, il aurait fallu s’enfuir dans les montagnes, dormir au bois, la main sur la carabine, près d’un cheval toujours sellé. Voutchitj aimait trop sa patrie pour céder en un tel moment à ses passions ; il se montra donc prêt à faire ce que désirait Vachtchenko. Aussitôt on invita la princesse Loubitsa à venir chez le consul russe pour s’entendre avec Voutchitj sur les moyens d’effectuer l’évasion de son mari. La princesse, feignant d’être affaissée sous l’excès de sa douleur, se fit porter chez le consul,