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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

des hommes, à de vieux compagnons des guerres de la liberté. Au nom de la gloire de notre pays, sacrifions nos mutuelles inimitiés ; qu’il n’y ait point de scandales, que le reste de l’Europe ignore ce que fut mon règne ! Ne faites rien écrire dans les journaux contre moi ; que l’oubli me couvre désormais comme si j’étais dans la tombe. Dites que j’ai abdiqué de plein gré, et, puisque je ne peux plus vous nuire, laissez Dieu seul me juger : je retournerai bientôt à lui. Frères, adieu pour toujours ! Que le ciel soit avec vous ! »

Il y avait de la dignité dans un tel langage. Miloch avait durant vingt ans représenté un peuple, et l’ame la plus vulgaire s’élève dans l’exercice d’une telle mission. Les nations, que Dieu a créées toutes inviolables et saintes, impriment un caractère auguste au front qu’elles couvrent du diadème. C’est ce que sentirent les Serbes, et, quand leur prince monta dans son caïque, ils se précipitèrent pour lui baiser la main. Loubitsa, qui n’avait jamais reçu de son époux que des outrages, poussa des cris perçans en le voyant s’éloigner. Les employés allemands, toujours dévoués au pouvoir, furent cependant les seuls qui osèrent exprimer publiquement leurs regrets. L’un d’eux, Richter, dans une courte brochure publiée sur la Serbie[1], n’a pas craint de dire : « Miloch est digne de vénération pour ses magnifiques qualités. Comme il était plein d’amour ! Quelle prévenance envers les plus pauvres ! Avec quelle reconnaissance il se découvrait devant le salut du dernier de ses sujets ! Il ne succomba que dans une série d’intrigues dont son ame ouverte et franche ne sut point se défendre… » Les voyageurs français n’ont pas moins contribué que les Allemands à égarer l’opinion de l’Europe au sujet des Obrenovitj. Mais, quelque éloge qu’ils aient pu faire du caractère et des intentions de Miloch, il est un fait démontré aujourd’hui jusqu’à l’évidence : c’est que le prince serbe n’est pas tombé devant de lâches intrigues, mais devant la colère d’une nation appauvrie par ses rapines et révoltée de ses excès.

Depuis son abdication, Miloch a fait pour ressaisir le pouvoir plusieurs tentatives qui ont toutes échoué ; ses cabales n’ont abouti qu’à empoisonner les jours de ses deux fils, Milane et Mikhaïl, et à rendre impossible la franche réconciliation des Serbes avec sa postérité. Les règnes si courts des deux jeunes princes ont d’ailleurs été remplis de tant d’intrigues étrangères, qu’ils appartiennent moins à l’histoire de la Serbie qu’à celle de l’Orient même considéré dans

  1. Serbiens Zustände, 1840.