Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/892

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
886
REVUE DES DEUX MONDES.

ment les boyards serbes, sont en réalité les plus sincères amis du peuple, les pères des tribus qui les ont choisis comme leurs représentans ; c’est à ce seul titre qu’ils conservent de l’influence.

Les Obrenovitj voulurent neutraliser au profit de leur despotisme ces institutions des ancêtres ; ils avaient établi une administration centrale, ou plutôt une servile bureaucratie, dans un pays où chaque village aspire à se gouverner lui-même, et, les nationaux ne sachant pas lire, ils avaient dû confier l’administration à des étrangers, la plupart pleins de mépris pour le culte et les usages du pays. La charte des empereurs, malgré ses restrictions tyranniques, eut au moins pour résultat d’abaisser cette naissante aristocratie d’hommes de plume devant les knèzes, qui sont les vrais représentans du pays. Chacun des dix-sept membres du corps législatif ne pouvant être choisi, d’après la nouvelle charte, que dans les rangs des knèzes et par leur concours, ils se retrouvèrent ainsi associés au pouvoir souverain. Le kniaze ou prince ne fut plus que le président de ces chefs nationaux. Les journaux d’Occident ont donc prétendu à tort que les deux cours auxquelles est due cette charte imposèrent les formes constitutionnelles à un peuple encore trop ignorant pour les comprendre. Cette constitution est loin sans doute de satisfaire aux légitimes exigences des Serbes, mais on y chercherait vainement des analogies avec la charte française ; on ne lui trouve de terme de comparaison que dans le système administratif des anciens Grecs, dont l’Orient conserve encore la précieuse tradition. L’Europe devrait s’apercevoir enfin que les peuples gréco-slaves aspirent surtout à des institutions démocratiques ; seulement ils comprennent la liberté autrement et plus profondément peut-être que les Occidentaux. La seule force des baïonnettes pourrait imposer à des peuples animés encore de l’esprit de tribu cette centralisation, ce despotisme de la majorité, qui caractérisent la démocratie française.

Parmi les innovations européennes introduites par Miloch pour soutenir son despotisme, il faut signaler l’installation d’une police princière dans les communes rurales, qui avaient eu jusqu’alors la surveillance exclusive et la responsabilité des actes de leurs habitans. Foulant aux pieds ces traditions de solidarité orientale, Miloch établit, et ses successeurs ont laissé subsister, des bureaux d’enquête placés dans chaque nahia sous la direction immédiate du natchalnik (gouverneur militaire), et chargés de surveiller la conduite des citoyens. Ces chefs de police et ces gouverneurs ont pour conseillers des secrétaires instruits en Europe dans l’art d’opprimer au nom de la loi.