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LETTRES DE LA SESSION.

tualité, d’autres enfin craindraient de contracter des alliances que les évènemens ultérieurs seraient susceptibles de rompre. Il est des combinaisons que la nécessité pourrait prescrire et rendrait légitimes, et qui seraient mal comprises, si elles s’opéraient avant d’être commandées par les circonstances et conseillées par la politique.

Pour moi, toute la question sur ce point se réduit à ceci : les hommes de talent, de patriotisme et d’expérience manquent-ils ? Si le ministère était renversé, les chambres ne renferment-elles point, dans la sphère des opinions qui pourraient hériter du pouvoir, les élémens d’une administration capable de diriger les affaires du pays ? Qui oserait le nier ? Les personnages éminens qui peuvent entrer au ministère ne sont que trop nombreux ; on s’en plaint quelquefois, on condamne leurs rivalités, on soupçonne leur ambition : on doit au moins accorder qu’il y a là pour le pays une véritable richesse. Je sais, et je le déplore, que de cruelles dissensions séparent des hommes d’état dont l’alliance, autrefois projetée, ferait disparaître de graves difficultés ; mais, malgré ces divisions, une administration nouvelle est encore aisée à former. Le ministère actuel a eu, sans le vouloir, le mérite d’amener des rapprochemens long-temps désirés et de réunir dans une opposition commune ceux qu’avaient séparés des circonstances qui ne sont plus. Les souvenirs irritans sont éteints ; les incompatibilités entre les personnes ont cessé, et quand les opinions et les vœux s’accordent, les alliances se font d’elles-mêmes.

Les hommes ne manquent donc point ; les causes de désunion disparaîtraient nécessairement, et l’on n’a pas à craindre une longue interruption dans les pouvoirs. Cette assurance doit suffire.

Mais au moins, dit-on, si les hommes ne sont pas désignés à l’avance, que les principes soient proclamés, et que ceux qui se portent les héritiers du cabinet produisent le programme qu’ils comptent adopter.

À qui s’adresse cette demande ? Quels sont les prétendans sur qui l’on entend faire peser l’obligation de dresser ainsi tout un plan de gouvernement ? Ceux qui répondraient à un tel appel se montreraient bien présomptueux et bien téméraires. L’opposition ne gouverne point et n’a pas la responsabilité du pouvoir ; un seul devoir lui est imposé : juger le ministère. Elle prononce sur la conduite qu’il a tenue, approuve ou condamne sa politique, le maintient ou le renverse. C’est là son unique programme. Son blâme ou sa louange indique ses opinions et engage son avenir : elle s’oblige à suivre ce qu’elle adopte, à s’écarter de ce qu’elle censure ; elle expose ainsi implicitement sa propre politique, ses doctrines, ses maximes de gouvernement. On ne saurait exiger d’aucune de ses fractions, même les plus voisines du pouvoir, qu’elles se prononcent sur toutes les questions actuelles ou à venir ; elles n’en possèdent point les élémens, et ne peuvent les résoudre. Parlera-t-on des affaires extérieures ? Quel est l’état des négociations ? Quels sont les engagemens pris, les concessions faites ou refusées ? Un ministère nouveau ne rompt point avec ce qui l’a précédé ; les traditions du passé pèsent sur lui, non qu’il y soit