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lié, mais parce qu’il doit les étudier, les approfondir, en rechercher l’esprit, et ne s’en écarter, s’il le juge nécessaire, qu’avec prudence et ménagement. S’agit-il de l’intérieur, chaque mesure est soumise à des lois d’opportunité, de convenance personnelle, qui doivent en hâter ou en retarder l’adoption : un pouvoir sage consulte sans cesse l’état de l’opinion, les vœux des chambres, les besoins de la politique, et y conforme tous ses actes. Bien imprudente serait l’administration, non-seulement en projet, mais même maîtresse du pouvoir, qui dresserait la formule générale de ses plans et de ses résolutions.

On comprendrait l’insistance avec laquelle on demande leur programme à ceux qu’on désigne comme des prétendans, s’il était question d’introduire dans le gouvernement une politique nouvelle et inconnue, et de substituer un autre ordre de principes à celui qui prévaut aujourd’hui. Si la gauche était près d’obtenir la majorité, le parti qui lui est opposé pourrait l’interpeller et donner cours à son inquiète curiosité ; mais tel n’est point l’état de la question. Le pouvoir n’est pas destiné à passer en ce moment du centre à la gauche ; il est seulement revendiqué par les opinions intermédiaires qui ne poursuivent aucune réforme radicale. Derrière ces débats ne se trouvent point des questions susceptibles d’inquiéter les amis de l’ordre et d’exposer le pays à des expériences périlleuses.

Mais s’il s’agit de si peu, quel sera le profit d’un changement ? Ne voulez-vous, s’écrie-t-on, que substituer certains hommes à d’autres ? Est-ce purement une question de portefeuilles et d’ambitions privées, et ces querelles valent-elles que les hommes impartiaux s’en mêlent ?

N’admirez-vous point la position commode que se font les défenseurs du ministère ? Ont-ils des adversaires dont les principes ne puissent se concilier avec les leurs, ils se récrient contre l’esprit révolutionnaire, exagèrent le péril, enflent leurs poumons pour pousser de bruyantes clameurs, et vous montrent Catilina aux portes du sénat. Au contraire, l’opposition se produit-elle modérée et conciliante, ils s’attachent à réduire le désaccord aux plus minces proportions, et, à la faveur de cette dissimulation, ils prétendent dépouiller de tout intérêt un changement d’administration.

Pour n’être pas radicale et révolutionnaire, l’opposition des partis modérés contre le cabinet n’en est pas moins réelle et sérieuse, et les efforts même prodigués pour l’écarter en attestent l’importance. J’en appelle au besoin à tous les esprits sincères. La politique qui avait consenti à l’extension du droit de visite est-elle la même que celle qui veut parvenir à le supprimer ? La politique qui se proclame « modeste et tranquille, » et qui sur tous les points isole la France, est-elle la même que celle qui veut la dignité sans forfanterie, la fermeté sans imprudence, qui recherche les alliances, et, sans vouloir les payer par d’injurieuses concessions, accepterait, pour les obtenir, toutes les conditions honorables et légitimes ? La politique qui se cramponne au statu quo comme au dernier terme du progrès, et qui refuse toute réforme, est-elle la même que celle qui fait la part du temps, des idées, des mœurs, des