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Quelques personnes songent à n’appuyer le pouvoir que sur le centre droit, le seul parti qui soit, selon elles, compact et uni, le plus nombreux de tous, puisqu’il balance les autres, et elles prétendent qu’une administration qui reposerait sur cette base serait encore la plus solide qui se puisse former.

Je ne saurais adopter cette pensée. Je ne conteste ni la force, ni l’union de ceux qui sont devenus les soutiens exclusifs du cabinet : je crois qu’aucune administration puissante et durable ne pourrait se former sans eux et les avoir tous pour adversaires, mais je suis également convaincu qu’à eux seuls ils ne peuvent constituer non plus une administration puissante et durable. M. Guizot l’avait senti autrefois quand il recherchait l’appui d’une partie du centre gauche, et quand il lui avait, si l’on m’a dit vrai, promis en échange certaines mesures de réforme ; il le sentait quand, après la coalition, il était prêt à entrer dans un cabinet qui aurait représenté toutes les opinions modérées de la chambre.

Les députés qui se sont érigés en conservateurs et s’attribuent exclusivement ce titre possèdent des qualités incontestables : avec le sentiment des nécessités du pouvoir, ils ont de la discipline et de la fermeté ; leur tort est de se croire les seuls, les derniers dépositaires des bonnes doctrines de gouvernement. Je proteste, pour mon compte, contre cette prétention. L’esprit conservateur qui ne veut rien accorder au temps et à l’opinion a perdu plus de gouvernemens que la politique modérée qui sait déférer à propos et dans une juste mesure aux vœux et aux besoins publics. C’est l’esprit conservateur qui poussait sous la restauration le cri de « plus de concessions ; » c’est la politique modérée qu’avait inaugurée le ministère Martignac, dont le brusque renversement préluda aux ordonnances de juillet ; c’est la politique modérée que souhaite le pays et qui a triomphé dans les dernières élections. Elle n’est point représentée par le centre droit seul, par le parti conservateur actuel ; ce parti s’est montré trop ardent parce qu’il était convaincu, trop exclusif parce qu’il se voyait menacé dans la possession du pouvoir. Il ne comprend pas assez les concessions que commande une politique impartiale et conciliante ; il s’effraie outre mesure de la moindre réforme. Sa raideur peu traitable a besoin d’être adoucie : elle le serait par une alliance avec les nuances modérées de l’opposition. Cette alliance peut seule, à mon avis, établir l’accord entre l’esprit conservateur et l’esprit de progrès, entre les idées libérales et les idées de consolidation. C’est, si je ne me trompe, le vœu de la France et le besoin de la chambre nouvelle.

Une alliance entre toutes les opinions sages et constitutionnelles ne rencontrerait point de difficultés réelles. Le centre droit obtiendrait un gouvernement puissant et respecté. La portion de la chambre qu’on appelle encore la majorité ne renferme pas quarante députés qui se refusassent à cette transaction, et ceux même qui n’y seraient point portés par goût s’y soumettraient par raison ; imbus, plus que les autres, des idées de conservation, ils ne voudraient point sans doute créer des embarras à l’administration nouvelle ; à moins de se liguer avec les partis extrêmes, ils demeureraient isolés, et s’ils