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LETTRES DE LA SESSION.

formaient une telle ligue, elle serait misérable et vaine. Le centre gauche entier adhérerait sans réserve à un ministère formé sous ces auspices. La gauche, sans accorder peut-être à ce cabinet une adhésion explicite, ne le poursuivrait point de son ardente hostilité. Le ministère, s’il ne l’avait pas pour appui, ne s’attacherait pas du moins à l’aigrir et à la blesser ; il ne l’exclurait pas systématiquement des affaires, seulement il conserverait avec elle toute son indépendance ; il ne serait jamais condamné à subir sa loi, et, sans la prendre pour alliée, il pourrait espérer de ne point trouver dans ses rangs des adversaires violens et irrités.

La chambre va choisir entre cette combinaison qui sortirait nécessairement d’une crise ministérielle et le maintien du cabinet. Si la question est bien posée, comment des hommes qui ont vraiment à cœur la force et la dignité de notre gouvernement se prêteraient-ils à perpétuer un malaise qui compromet nos institutions et inquiète les bons citoyens ? Le scrutin s’ouvrira dans quelques jours ; que chacun y suive son inspiration et se dégage des liens de parti qui paralysent tant de bons sentimens. Les rangs ministériels contiennent des membres qui souhaitent une autre administration, qui veulent étendre la sphère de la majorité et calmer des ressentimens fâcheux. Pourquoi ne céderaient-ils pas à ces impressions et seraient-ils sourds à la voix de leur libre conscience ? Ils ne doivent pas se préoccuper des injures que dirige contre eux une polémique passionnée jusqu’à la maladresse ; les intrigans ne sont pas ceux qui servent leurs convictions et ont le courage de rompre avec leur parti quand il se trompe. Il en est qui prononcent ces séparations avec éclat et exposent leurs griefs au grand jour ; d’autres ne veulent point faire retentir leurs dissentimens dans le public, se refusent à attaquer des amis de la veille et se contentent d’apporter à l’heure du jugement leur muet suffrage : ce ne sont pas les moins honnêtes ni les moins fermes. Permis aux feuilles ministérielles d’attaquer les hommes qui se proposent de suivre cette ligne ; ces hommes sauront se contenter de la satisfaction d’un devoir accompli et de l’honneur d’une conduite loyale, simple et énergique.

Il importe surtout que chaque vote conserve son caractère et que la source en soit connue. Dans les partis extrêmes, la politique pessimiste doit, dit-on, procurer des appuis au ministère : je le regrette, et pour la pensée blâmable qui dirigera ces suffrages, et pour la force d’emprunt qu’elle prêtera au 29 octobre ; mais si ce projet s’exécute, si des voix légitimistes ou ultra-radicales se donnent à un cabinet qui semble avoir leur prédilection, je demande qu’elles s’avouent et ne se cachent point dans un hypocrite désaveu, Il ne faut pas que, par une dissimulation coupable, ceux qui voteront pour M. Guizot se réservent de déclarer plus tard qu’ils l’ont combattu ; il ne faut point que le cabinet soit impunément appuyé par des hommes qui, selon la formule de l’un d’entre eux, sont à la fois pour lui et contre la dynastie, et, ennemis déclarés de nos institutions, ne passeraient sous le drapeau ministériel que pour les pervertir ; il ne faut pas qu’on puisse attribuer aux opinions constitu-