Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 1.djvu/927

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
921
HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

querait son regard, il devait chercher de l’étendue et un libre horizon. Tout cela préparait certainement sa maturité ingénieuse. Il y a ainsi un moment dans chaque vie distinguée où tout s’accumule et conspire, et ne demande qu’à éclore. Quand le flambeau en lui-même est si prêt à luire, le foyer, quel qu’il soit, ne manque jamais.

Aujourd’hui que tout noble centre a disparu, et que la pensée, si elle veut être pure, cherche vainement un lieu désintéressé où se groupent avec charme et concert les activités diverses, ces souvenirs des foyers et comme des patries autrefois brillantes sont bien faits pour rappeler un moment le regard en arrière et le reposer. Après les désastres de tant d’années orageuses, on le conçoit, c’était mieux qu’un arc-en-ciel et qu’une promesse que cette réunion d’élite, cette émulation combinée des plus vives et des plus rares intelligences. La science originale et perçante d’un Schlegel, la digression inépuisable et spirituellement rapide d’un Benjamin Constant, faisaient déjà un beau fonds, sans compter ces hôtes de chaque jour qui y passaient, et qui, sous la baguette magique de la Muse du lieu, y revêtaient toute leur fraîcheur, y rendaient toutes leurs étincelles.

M. de Barante, une fois entré dans le cercle, dut y recevoir beaucoup ; mais il y porta, il y garda à coup sûr un caractère propre. Jeune, au sein de cette société enthousiaste, il ne se départit point de la réserve ni du goût. Cette règle morale, qu’on ne craindrait pas de dire qu’il observa jusque dans le sentiment, nous la retrouvons nettement traduite dans son expression d’écrivain. Il eut ce que Mme de Staël a qualifié heureusement une réserve animée, de la discrétion dans le trait, une justesse prompte, quelque chose de ce que Mlle de Meulan, de son côté, marquait également. Tout auprès de cette exaltation un peu factice de Benjamin Constant, il sut se faire des points fixes. À l’excès paradoxal de Schlegel il opposa l’impartialité. Impartialité, ce fut de bonne heure sa devise, son inspiration originale en critique, comme par la suite en histoire.

Tel nous le montre son Discours ou Tableau de la Littérature française au dix-huitième siècle, ouvrage conçu durant ces années et qui parut pour la première fois en 1809. Ce petit volume, qui présentait moins des développemens que des résultats, a trop bien réussi, il a trop contribué à répandre et à faire accepter de tous aujourd’hui les conclusions qu’il exprimait, pour qu’on n’ait pas besoin de se reporter au moment où il parut, si l’on veut en apprécier l’originalité. Chose singulière ! la critique littéraire à la fin du