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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

croira qu’à des circonstances. L’un voulait commander l’avenir, l’autre se borne à connaître les hommes. » Pronostic si plein de sagacité et de sens ! Combien n’en rencontre-t-on pas de tels au sein de cette parole généreuse, de cette nature enthousiaste et douée des hautes clartés !

Le caractère de ce premier écrit de M. de Barante a donc été d’introduire une vue moderne dans la critique. Il n’y avait rien là d’appris ni de répété des livres ; les idées étaient neuves ; la conversation et la discussion les avaient mûries. On peut dire que, pour bien des esprits distingués, c’était un compte-rendu de leurs impressions et de leurs jugemens sous une forme nette qu’ils durent vite adopter et reproduire. Littérairement, on trouverait des objections, on voudrait du moins des amendemens à quelques sentences dans lesquelles le critique, en abrégeant, a trop tranché. Il est bien dur, par exemple, de venir dire en parlant de Diderot : le talent dont il a donné quelques indices… Je ne saurais non plus accorder que la plaisanterie de Bayle soit presque toujours lourde et vulgaire. Que cette plaisanterie et l’habit qu’elle porte ne soient plus de mode, à la bonne heure ! Que ce soit un habit de savant et qui même n’ait jamais été à aucun moment taillé dans le dernier goût, c’est très vrai encore. Mais sous cette coupe un peu longue et ces manches qui dépassent, prenez garde, l’ongle s’est montré, non pas du tout un ongle de pédant, il a la finesse. — Ce ne sont là, au reste, que de simples points ; l’ensemble des conclusions, même en ce qu’elles parurent avoir d’abord de rigoureux, demeure approuvé.

Vers le temps de la publication de cet ouvrage, la situation politique de M. de Barante commençait à se dessiner avec distinction. Simple auditeur au Conseil d’état vers 1805, s’il se sentait peu favorable d’affection au gouvernement impérial, il ne s’en montra que plus strict dans l’accomplissement de ses devoirs. Sa liaison avec Coppet, ses visites durant le séjour ou, comme on disait, l’exil d’Auxerre, tout cet attrait prononcé pour une noble disgrace, ne laissaient pas d’introduire des chances périlleuses dans sa carrière, dans celle même de son père vénéré[1]. Il dut y avoir là des luttes morales, touchantes, qu’on ne peut s’empêcher de soupçonner, qu’il ne nous appartient pas de sonder dans toutes leurs délicatesses. Le gouvernement d’alors était très ombrageux sur les moindres affaires

  1. M. de Barante père fut révoqué de sa préfecture de Genève à la fin de 1810.