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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

étaient seulement redevables à M. de Barante de ces soins de révision et de correction, dont le plus vrai succès consiste à ne laisser aucune trace d’eux-mêmes. La description du Bocage, dans le troisième chapitre, était toute de lui ; la préface en prévenait le lecteur, sans quoi on n’eût point songé à isoler le morceau, tant le tout se fondait avec goût et courait avec une grace sévère. Pas un trait n’altérait la simplicité touchante, qui seule convenait au témoignage des grandes choses et des hautes infortunes dans la bouche de la noble veuve de Lescure. Le concert des deux auteurs, en un mot, avait été si parfait, que rien n’avertissait qu’il y en eût un. On lut avec émotion, on connut pour la première fois dans son entière sincérité cet épisode unique, cette première Vendée restée la plus grande et la seule vraiment naïve ; on salua, on suivit avec enthousiasme et avec larmes ces jeunes et soudaines figures d’une Iliade toute voisine et retrouvée à deux pas dans les buissons et derrière les haies de notre France ; ces défis, ces stratagèmes primitifs, ces victoires antiques par des moyens simples ; puis ces malheurs, ce lamentable passage de la Loire, ce désastre du Mans, cette destruction errante d’une armée et de tout un peuple. La vieille France, après cette lecture, pouvait tendre la main à l’autre, sans se croire trop en reste de gloire et de martyre : Moscou et le Mans, la Bérésina et la Loire ! Qu’importe l’espace et le lointain ? ne voyez que l’héroïsme. La Vendée enfin avait trouvé pour sa digne époque un historien, il existe un manuscrit des Mémoires dans lequel on lit, m’assure-t-on, des détails intéressans que l’imprimé ne reproduit pas toujours. Il en est sur les premières années de Mlle de Lescure avant son mariage, sur Versailles au 5 octobre et sur Paris au 10 août. Il en est d’autres qui ajouteraient dans quelques points aux informations particulières sur les dissidences des chefs entre eux. On conçoit que des considérations personnelles, des ménagemens dus à des souvenirs si saignans, aient imposé quelques réticences ; mais les années, en avançant, permettent beaucoup[1].

  1. Le prince de Talmont, on le voit par les Mémoires imprimés, était celui de tous les chefs qui, par ses antécédens et son caractère, se trouvait le moins en accord avec ces mœurs simples, frugales, chrétiennes, et avec cette espèce d’égalité fédérale des gentilshommes vendéens. Arrivé d’hier de Versailles, tout plein des habitudes du bel air, il mettait au service de la cause, les jours de combat, la plus brillante valeur, après quoi il ne se souciait guère de rien de sage ; et, pour ne citer qu’un trait qui le peint, un jour, après ce fatal passage de la Loire, qu’il avait sur-