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HISTORIENS MODERNES DE LA FRANCE.

les paroles de Louis XI, qui le mirent à même de la racheter à l’improviste, amenèrent la première phase dans laquelle les Suisses, entraînés par Berne, et agresseurs hors de chez eux, épousèrent une querelle qui n’était pas la leur, se jetèrent à main armée entre la Franche-Comté et l’Alsace, franchirent le Jura neuchâtelois, et devinrent patemment les auxiliaires actifs d’un vieil ennemi contre un prince qui ne leur avait jamais été que loyal. La seconde phase de cette guerre, la mémorable campagne de 1476, à jamais illustrée par les noms de Granson et de Morat, cette lutte corps à corps dans laquelle il semblerait que les Suisses traqués ne faisaient que se défendre, est plus propre sans doute à donner de l’illusion ; mais même dans ce second temps, si on veut bien le démêler avec M. de Gingins, on est fort tenté de reconnaître que le duc Charles (Charles-le-Hardi, comme il l’appelle toujours, et non le Téméraire) ne franchissait point le Jura en conquérant ; il venait rétablir le comte de Romont et les autres seigneurs vaudois dans la possession de leur patrimoine, dont les Suisses les avaient iniquement dépouillés pour leur attachement à sa personne ; il venait délivrer le comté de Neuchâtel de l’occupation oppressive des Bernois. Toute la gloire du succès et l’éblouissement d’une journée immortelle ne sauraient atténuer à l’œil impartial ces faits antérieurs et les témoignages qui les éclairent. Enfin la campagne qui se termina à la bataille de Nancy, et qui forme la troisième période de la guerre de Bourgogne, cette expédition dans laquelle le duc de Lorraine recruta dans les cantons, moyennant solde fixe, les hommes d’armes de bonne volonté, ne fut à aucun titre une guerre nationale, pas plus que toutes celles du même genre où les troupes suisses capitulées ont figuré depuis. L’ensemble d’une telle querelle, entièrement politique et même mercenaire, où les Confédérés servirent surtout l’ambition de Berne, ne saurait donc s’assimiler que par une confusion lointaine à ce premier âge d’or helvétique, à cette défense spartiate et pure des petits cantons pauvres et indépendans. Mais, en revanche, l’éclat du triomphe émancipa hautement la Suisse, la mit hors de page, elle aussi, et au rang des états ; et comme l’a très bien dit un autre historien de ces contrées : « La bataille de Morat a changé l’Europe ; elle a dégagé la France, relevé l’Autriche, et ouvert à ces deux puissances le chemin de l’Italie, que la maison de Bourgogne était tout au moins en mesure de leur barrer. Aussi voyez les Suisses pendant les trente années qui s’écoulèrent entre Morat et Marignan ! Rien alors ne se