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CHILLAMBARAM ET LES SEPT PAGODES.

terrés là quelque part sous les décombres, et poursuivi par une soixantaine de brahmanes, le chef en tête, qui m’exposaient leur misère et demandaient l’aumône, je regagnai mon gîte ; le jour tombait. Devant les portes, j’entendais le chant monotone de quelque vaïcya (laboureur), couché sur le banc de la galerie, et je distinguais à peine dans l’ombre du crépuscule sa blanche écharpe bordée de rouge. Des pagodes ruinées, des chapelles, des reposoirs, qu’on visiterait ailleurs avec soin, se rencontrent çà et là ; mais, écrasés par la magnificence du grand temple, ils ressemblent à des miniatures. Autour de l’étang principal, voisin de la porte, brillaient les feux des pèlerins et des marchands occupés à faire cuire le riz du soir ; chaque campement, chaque chariot avait son groupe, digne d’être étudié ; de belles jeunes filles descendaient au tank (étang) pour y remplir leurs cruches arrondies ; elles s’y ébattaient avec des éclats de rire joyeux, et leur silhouette se profilait sur la surface limpide des eaux que leurs mouvemens faisaient miroiter aux premiers rayons de la lune ; puis elles marchaient gravement, une main sur la hanche nue, l’autre à peine posée sur l’amphore qui s’incline aux ondulations du cou ; chacune cheminait silencieusement vers sa cabane ; et sous les grands arbres, sous l’obscurité d’un feuillage épais, elles passaient comme des ombres, trahies à peine par le bruit des anneaux qui ornent leurs pieds. Dans les airs hurla le hibou ; dans les taillis, sous les ruines, aboya le chacal ; alors « s’avança la nuit protectrice de toutes les créatures : décoré des constellations, des planètes, des étoiles brillant toutes ensemble, le ciel, pareil à un tissu léger, s’éclaira et resplendit complètement. Alors errèrent à leur gré les êtres qui marchent dans les ténèbres, ceux qui marchent au grand jour rentrèrent sous le joug du sommeil ; alors aussi retentit le bruit terrible des animaux qui se meuvent dans l’obscurité, les bêtes fauves se réjouirent ; la nuit, source de frayeurs, régna de toutes parts… » Ô magnifique poésie d’une langue plus ancienne encore que la vieille pagode, es-tu donc morte à jamais, et le brahmane déchu ne sait-il donc plus faire entendre d’autres accens que ceux de la comique gémissante qui jette un dernier murmure entre les quatre pyramides géantes ?

II.

Après avoir visité cette pagode célèbre, il me restait à voir les grottes les plus renommées de la côte de Coromandel, celles de Mahabalipouram.