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À un demi-mille au nord du rocher, s’élèvent les cinq pagodes monolythes ; ce sont de monstrueuses pierres, des masses de granit dont trois représentent des chars (rathas) dans lesquels on promène des idoles aux jours de fête ; tout auprès, on voit un éléphant et un lion, qui ne paraissent pas entièrement terminés, colossales ébauches d’un ciseau de géant. Ces monumens, différens entre eux de grandeur et d’exécution, présentent, celui-ci un carré parfait à trois étages rentrans, couronnés d’un dôme, celui-là un parallélogramme aux angles arrondis. Enfin, le plus singulier a la forme d’un tchaïtya bouddhique, ou d’une chapelle chrétienne ; le toit pointu, presqu’en ogive, encadre dans la façade principale, entre les découpures de deux lignes de pendentifs, un clocheton gracieux appuyé sur une rangée de petits portiques qui sont le motif dominant, partout reproduit sur les édifices de Mahabalipouram. Ces rathas, d’une architecture assez sévère, peu ornés, sans autres figures que les quelques statues de divinités placées aux angles sous des espèces de niches, ressemblent à des tombeaux ; les statues elles-mêmes ont des mouvemens calmes ; leurs poses sont nobles et sérieuses ; elles n’ont rien d’extravagant, excepté les quatre bras, dont deux doivent manifester la divinité par les attributs, et les deux autres déterminer la pensée par le geste. L’une d’elles, où l’on reconnaît Krichna à cause du taureau qui l’accompagne, porte sur la tête un turban posé en arrière et surmonté du croissant. On conçoit que le temps n’a altéré en rien ces monumens, rochers pleins, taillés seulement à la surface. Dans la plaine de sable qui les entoure, on ne voit aucune cabane, mais le vent y a semé de beaux palmiers dont les grandes feuilles forment un parasol toujours étendu sur la tête du voyageur que la curiosité attire vers ce groupe de temples inachevés.

Maintenant, dirigeons-nous sur le bord de la mer, et après avoir dépassé des rocs jadis vénérés, sur les contours desquels la superstition antique avait cru voir tracées des figures de bœuf, de cheval, de fantastiques divinités, nous arriverons aux deux pagodes envahies par les flots à marée haute. Là, le silence est d’autant plus solennel qu’on a devant soi l’immensité des vagues. Les deux pagodes, assises sur une large base, construites de grandes pierres, se terminent par des aiguilles élancées comme celles des minarets ; de curieux bas-reliefs sont sculptés de chaque côté des couloirs qui règnent au rez-de-chaussée ; mais la mer, dans des coups de vent, a renversé la muraille du fond et semé de ruines les abords du temple. Sur ces débris épars on retrouve des fragmens plus ou moins entiers ; le plus