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y est plus difficile que dans d’autres temps. Le poète est nécessairement assailli par d’innombrables réminiscences ; il a devant lui l’antiquité avec sa perfection primesautière et désespérante ; puis viennent les génies heureux auxquels il a été donné de rivaliser avec les modèles antiques en les imitant. Enfin, les littératures étrangères, tant celles du Nord que celles du Midi ; l’Italie, qui s’enorgueillit de son Dante, l’Angleterre, si fière de Shakspeare, sont là pour montrer au poète en travail toutes les beautés dont il voudrait avoir la fleur et la gloire. Qu’il se propose d’animer la toile, le marbre ou la pierre, qu’il tente de ressusciter l’antique ou se voue à l’art moderne, l’artiste retrouve la supériorité et la tyrannie de modèles et de types connus. Voilà déjà bien des raisons pour ne pas s’engager à l’aventure dans des entreprises qui menacent si fort de rester stériles : il y en a d’autres.

La poésie, c’est la substance des choses revêtue de la forme la plus plus belle. Pour arriver à créer, il faut donc savoir profondément. Or, il y a pour l’homme deux grandes sources de connaissances, la foi et la philosophie. Par la foi, l’esprit admet volontairement tout un ensemble d’idées, de dogmes et de sentimens ; il s’identifie avec tout un monde moral, il en reçoit une nourriture vivifiante, une énergie toujours féconde. Ainsi nous voyons les poètes chrétiens, les chantres de l’Enfer et du Paradis, et ceux qui ont mis sur la scène Athalie et Polyeucte, concentrer et répandre toute la splendeur de la religion dont ils sont les interprètes et les croyans. La religion qui fait descendre Dieu sur la terre, et qui est comme une évocation de l’absolu, inspire et rend heureux les artistes qui la servent, pourvu que leur adoration soit sincère et profonde. Dans le domaine de l’art, comme dans la pratique de la vie, il ne suffit pas de s’appeler chrétien, il faut l’être ; c’est-à-dire qu’on n’est ni chrétien ni poète quand on se complaît d’une manière prétentieuse dans une sorte de sentimentalisme vague et puéril qu’on cherche à teindre de quelques couleurs empruntées à un faux catholicisme. L’art chrétien n’accorde ses palmes qu’à des études profondes, à une foi vraie, à l’élévation sérieuse du génie et de l’ame.

L’autre source de poésie est la réflexion, la philosophie. Ici c’est dans le développement infini de la pensée qui pénètre au fond de toute chose et qui plane sur les hauteurs paraissant les plus inaccessibles que le poète puise sa force. La carrière est immense, et elle demande une rare vigueur ; les théories fausses, les idées à demi