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LE SALON.

testans, en un mot les absens, sont toujours les mêmes aussi. Quoi d’extraordinaire donc que des hommes liés par une communauté de vues, par des habitudes d’esprit analogues, nourris des mêmes études, élevés à la même école, autrefois camarades d’atelier, aujourd’hui collègues d’académie, soient portés, en échange de la responsabilité qu’ils assument, à user du pouvoir discrétionnaire qu’on leur abandonne un peu trop dans le sens de leurs sympathies ou antipathies d’école et de goût, et pas assez dans l’intérêt général de l’art et des artistes ? C’est assurément du contraire qu’il faudrait s’étonner. Le jury, tel qu’il est constitué, n’est pas l’Académie sans doute, mais il est composé d’académiciens, et d’une catégorie particulière d’académiciens. Or, l’esprit académique est connu. On sait qu’il est passablement intolérant, très peu amoureux de nouveautés, défiant à l’excès à l’endroit des talens naissans, et plein de sympathie pour les talens morts, fort enclin à prendre la routine pour de l’expérience et les préjugés pour des principes. L’esprit académique est, en matière d’art et de science, ce qu’est l’esprit conservateur en politique. Il a aussi un bon côté ; mais c’est surtout par l’autre qu’il se révèle dans le jury.

C’est par la prépondérance de cet esprit, dont le zèle va parfois jusqu’au courage, qu’on s’est rendu compte des mésaventures fameuses de tant d’artistes éminens, de tant d’œuvres qui semblaient n’avoir besoin d’autre passeport que le nom de leur auteur. On se souvient de la Cléopâtre de M. Gigoux, du Christ de M. Préault ; on cite cette année la Messaline de M. Louis Boulanger. C’est ainsi qu’on explique comment il a pu arriver que des toiles signées Decamps, Delacroix, Riesener, aient été déclarées indignes par des artistes, par des hommes du métier, par des peintres.

Ces préoccupations d’école, si naturelles et jusqu’à un certain point si excusables, ont pu devenir particulièrement incommodes aux artistes depuis ces derniers dix ans. Personne n’ignore, quelque jugement qu’on porte d’ailleurs sur la valeur de ces tentatives, que l’art a essayé de nos jours d’entrer dans des voies nouvelles ou qu’il croit nouvelles. On a rompu décidément avec le goût et les traditions qui régnaient encore il y a quelque vingt-cinq ans. Il s’est établi dès-lors, comme il arrive toujours, deux camps, fort peu disposés à s’entendre et à se rien céder, car les intérêts d’esprit et de goût ne transigent pas plus que tous les autres. Chacun se croyant dans le vrai et dans le droit, on résiste des deux côtés avec d’autant plus d’opiniâtreté et de confiance, qu’on a la conscience en repos sur la légitimité de sa cause. Dans cette révolution du goût, il est