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nous paraît être à très peu près le cas dans la question du jury. Selon nous, la tâche imposée à cette commission, est virtuellement inexécutable. Il suffit, pour le prouver, d’énoncer le problème qu’on lui donne à résoudre. Voilà, lui dit-on, quatre mille morceaux de peinture et de sculpture ; vous allez en faire deux parts, s’il se peut égales ; dans l’une de ces moitiés, vous mettrez les meilleurs, dans l’autre les pires ; puis, quand vous aurez fait ce départ, vous placerez les premiers dans la galerie du Louvre, et vous renverrez les seconds à leurs auteurs. Quand on pense que cette opération porte sur des objets d’art, c’est-à-dire sur tout ce qu’il y a au monde de plus rebelle à des déterminations précises, on ne peut assez admirer la confiance de ceux qui s’imaginent pouvoir l’exécuter avec convenance et justice. Où est, dans cette échelle ascendante et descendante de mérites, de défauts, de qualités, de conditions de toute espèce, si prodigieusement nuancées et variables, la ligne exacte qui sépare infailliblement, nous ne disons pas le bon du mauvais, mais leurs degrés, le plus et le moins ? Remarquez qu’il n’est pas question en ceci d’une justice absolue, mais d’une justice relative ou distributive. Il ne s’agit pas de désigner parmi quelques milliers de tableaux un certain nombre d’œuvres absolument bonnes, c’est-à-dire rigoureusement conformes à ce type d’excellence et de perfection réalisé dans chaque genre par les maîtres de l’art. Ce triage serait relativement assez facile, mais la récolte serait bien maigre ; le salon se trouverait réduit tous les ans à cinq ou six morceaux, et même il pourrait arriver qu’il n’y eût pas de salon. Ce dont il s’agit, c’est de faire entre les ouvrages un partage tel que le meilleur des exclus soit pourtant moins bon que le plus mauvais des reçus, ou, ce qui revient au même, que le moins bon des admis soit pourtant supérieur au meilleur des rejetés. Or, la raison indique que ce but ne peut pas être atteint, et l’expérience prouve par des faits sans nombre qu’il ne l’est jamais. Quand nous disons que c’est là la question, c’est dans la supposition, bien entendu, qu’on veut être juste, et, comme cette supposition doit être admise à priori, il s’ensuit que le problème est évidemment insoluble. L’objection est générale ; elle s’adresse à tout jury, quel qu’il soit, et, sans nous arrêter à la développer, nous la tiendrons pour valable tant qu’elle ne sera pas réfutée.

La conclusion naturelle de ce raisonnement serait qu’il faut supprimer le jury. Supprimer le jury, c’est se résoudre à tout recevoir. Cette solution, nous l’avons émise plus d’une fois, mais elle est peu goûtée. On n’y fait, il est vrai, que des objections théoriques qui