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ses craintes. On dresse des calculs statistiques ; on s’épie, on se suit du regard ; quelques visages rayonnans trahissent les promesses reçues ; d’autres, consternés, révèlent les situations compromises ; les opinions se mêlent, les alliances se dénouent, les antipathies s’effacent, au moins pour un instant ; c’est un pêle-mêle général.

Le premier jour de la discussion a commencé ; il est destiné à l’exposition. Il va nous faire connaître les combinaisons des partis, les chances de l’avenir, le lendemain qui suivrait la chute du ministère. Nous n’avons besoin d’écouter ni M. Ledru-Rollin, dont le discours est commandé par sa situation, et qui, par un étrange effet, irrite les centres en attaquant M. Molé, tandis qu’il les laisse indifférens aux coups qu’il porte à M. Guizot, ni M. de Gasparin qui, dès son premier début oratoire, a déployé, avec un talent réel, des opinions tellement vives et absolues, qu’on sait d’avance tout ce qu’il va dire. Mais voici venir M. Desmousseaux de Givré, et je suis bien trompé s’il ne force pas ses adversaires à se mettre sur le terrain de la défensive. Écoutez bien : il n’a pas prononcé trois phrases, et déjà M. Passy l’interrompt, M. Dufaure demande la parole. Les deux honorables membres jouent un rôle essentiel ; après avoir soutenu le cabinet, ils s’en sont séparés, et cette position spéciale, jointe à la juste considération qui les entoure, les a fait considérer comme le lieu naturel d’une administration nouvelle, qui réunirait les deux centres dans une combinaison commune. Leur langage va préparer le dénouement et commencer l’action ; aussi la chambre tout entière se tait, attentive à leurs paroles. M. Passy est debout à son banc, et, sans autre préambule, se déclare impossible comme ministre, en raison de ses opinions sur le droit de visite. C’est une verte leçon donnée au cabinet, qui a conservé le pouvoir, bien qu’il partageât les mêmes opinions, mais elle le sert puissamment : aussi regardez M. Guizot, son visage radieux trahit une joie inattendue ; le voilà, sans aucun effort, délivré d’un de ses plus dangereux concurrens. Cependant M. Dufaure va parler à son tour : chacun s’attend à une vigoureuse attaque contre le cabinet ; l’opposition espère un appui, les dissidens du parti ministériel comptent sur une profession de foi politique qui pourra devenir le programme d’un cabinet nouveau et le drapeau de sa majorité. Vaine attente ! M. Dufaure se prononce contre le cabinet, mais sa modération lui interdit d’expliquer ses dissentimens par les erreurs d’une politique qu’une longue indulgence l’autoriserait à juger avec sévérité. Il insiste avant tout sur le refus de la réforme électorale, dont il se déclare le partisan, et qu’il veut mettre à l’ordre du jour dès à présent, bien qu’il en ajourne l’application à trois ans. M. Guizot, en habile tacticien, le remplace à la tribune, abuse des ménagemens de l’honorable membre pour les traduire en approbations, développe sur la réforme et le progrès un de ces lieux communs qu’il sait si bien rajeunir par l’éclat du langage, et, malgré une vigoureuse réplique de M. Dufaure, laisse le parti conservateur convaincu qu’auprès de M. Passy démissionnaire, il ne trouvera qu’un inflexible ami de la réforme, qui approuve le