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LETTRES SUR LA SESSION.

ministère tout en s’en séparant, et n’entrerait au pouvoir que pour inaugurer de dangereuses théories. Ainsi finit la première journée ; l’exposition n’est pas complète ; cependant le dénouement, s’il reste encore incertain, peut déjà se pressentir.

L’attaque contre le ministère doit occuper le lendemain ; l’action va s’engager ; tous les personnages sont en présence, et la scène promet un puissant intérêt. Reprenons notre poste. L’aspect général de l’assemblée a déjà subi un changement : l’assurance a reparu sur les bancs du centre ; ceux de la gauche laissent percer un certain découragement. Cependant le débat, s’il est pressant, animé, s’il ne s’égare point, peut relever l’opposition et jeter de nouveau le trouble dans les rangs ministériels. Les premiers coups sont portés par M. de Tocqueville ; mais dans son discours l’écrivain se montre bien plus que l’orateur, le publiciste que le lutteur politique. S’il fait réfléchir les esprits sérieux, il n’entraîne pas l’assemblée. Ce succès pourrait être réservé à M. de Lamartine ; malheureusement, dès les premiers mots, il se place en dehors de la question qui se débat, et, dans une véhémente et hardie improvisation, il traduit toute la politique extérieure du gouvernement de juillet à la barre de l’assemblée, en finissant par cette audacieuse apostrophe : « Il faut que la France cesse d’être France, ou que vous cessiez de la gouverner ! » Quel champ ouvert devant M. Guizot ! M. Guizot doit une revanche à ses amis, car il n’a pas répondu au dernier discours de M. de Lamartine, à ce discours si brûlant qui a marqué son passage dans les rangs de l’opposition. M. Guizot se charge des deux réponses à la fois ; il reprend tous les reproches accumulés par M. de Lamartine ; généralisant la défense comme l’accusation, il se constitue le défenseur de la révolution de juillet, relève avec habileté les actes qui peuvent être défendus avec succès, et achève, au milieu des acclamations de la chambre, un de ses discours les mieux inspirés. De la question actuelle, pas un mot : il ne défend pas le cabinet du 29 octobre, il ne discute aucun des reproches qui le concernent directement, mais il a réfuté son adversaire et parlé éloquemment ; en faut-il davantage à tant d’hommes qui ont plus d’imagination que de jugement, qui prennent le talent oratoire pour la logique, et placent les satisfactions de l’art au-dessus des froides raisons de la politique ? L’action n’a donc pas été heureusement dirigée. Cependant tout n’est pas encore perdu ; attendons le dénouement.

Il va s’accomplir dans la troisième journée ; mais combien tout est changé ! La salle est à moitié vide ; on entre et on sort ; les chefs des diverses nuances de l’opposition paraissent déconcertés ; ils s’abordent et se quittent pour se reprendre bientôt ; pendant long-temps la tribune laisse l’assemblée inattentive. Dans les couloirs, dans ces salles de marbre qui servent de succursales à celle des séances, de refuge aux parleurs et de théâtre aux intrigues, les députés se réunissent en groupe selon leur parti, et semblent se consulter sur la marche à suivre. Je crains bien que le désordre ne soit dans le camp des