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position plaisait surtout à un certain nombre de députés nouveaux, à qui une courte expérience des mœurs de la chambre avait permis d’apercevoir l’indignité de certains procédés, sans leur avoir encore démontré toutes les nécessités du vote secret. La proposition de M. Duvergier de Hauranne ne s’adressait à aucun parti plus spécialement qu’aux autres. Le cabinet était partagé ; M. Guizot et M. Duchatel passaient pour lui être favorables ; les autres ministres députés la repoussaient ; de cette divergence résultait la neutralité du cabinet. Dans le débat, bien qu’en définitive l’opposition ait adhéré en assez grand nombre à la proposition, elle a compté des défenseurs et des adversaires dans tous les partis. M. Vivien l’a combattue longuement ; après un débat peu approfondi, une majorité de quelques voix seulement a refusé la prise en considération. Évidemment, cette discussion s’est suivie sans aucune intervention du ministère : elle ne lui a ni donné ni retiré des forces ; elle est restée en dehors de son action.

Je conviens que la proposition de M. de Sade se présentait sous un tout autre jour : le ministère peut, jusqu’à un certain point, se prévaloir du vote qui l’a rejetée. Cependant la discussion a laissé la chambre inattentive, distraite, froide. Les orateurs qui engagent un parti et entraînent l’assemblée se sont abstenus. M. de Lamartine, seul parmi eux, a pris part au débat, mais pour combattre la proposition. M. le ministre de l’intérieur n’a occupé la tribune que peu d’instans ; M. Guizot a gardé le silence. La lutte n’a pas été sérieuse. Quelques-uns des moyens proposés contre la trop grande invasion des fonctionnaires dans la chambre ne pouvaient être adoptés sans entraîner une dissolution que personne ne souhaitait, et le débat se trouvait ainsi tronqué. Dans de telles circonstances, le cabinet devait avoir aisément bon marché de la proposition, et cependant ce n’est qu’après une épreuve douteuse et à vingt-six voix de majorité seulement qu’elle a été écartée.

La situation du ministère et de la chambre n’a donc pas sensiblement changé depuis le vote des fonds secrets, et c’est à ce point de vue qu’elle doit être envisagée. Si je ne me trompe, elle trace à l’opposition constitutionnelle des devoirs nouveaux, dont l’accomplissement réparerait bientôt une défaite amenée par des fautes de tactique et de conduite.

La première condition du succès est dans la persévérance ; cette vertu, depuis quelques années, a fait presque toute la force du parti conservateur. Les hommes modérés qui touchent à ce parti, les conservateurs opposans ou dissidens, comme on voudra les appeler, doivent imiter cette persévérance. S’ils venaient à se décourager, tout serait bientôt perdu, et le triomphe de leur cause indéfiniment ajourné. Quels que soient les mécomptes de ces dernières circonstances, rien n’est désespéré ; la majorité reste indécise, elle attend une impulsion et ne la donnera pas ; elle est déjà presque embarrassée d’elle-même entre les fautes du pouvoir et les mécontentemens du pays. L’occasion est propice aux opinions intermédiaires qui n’adoptent point