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cavalièrement et très poétiquement raconté, et le dénouement de la première partie est charmant.

Don Juan de Alarcon, très proche parent de tous les don Juan connus, est le vaurien le plus amoureux et le plus ferrailleur de Palencia et des deux Castilles. Son père, don Gil, l’envoie à l’université de Valladolid ; mais les sérénades, les escalades et les estocades vont bientôt si bon train, que don Juan est forcé de quitter la ville. Le père entre d’abord dans un grand courroux en voyant revenir son fils ; le jeune homme lui raconte si gaiement ses fredaines, que tous deux finissent par en rire. Voilà donc notre étourdi battant encore une fois le pavé de Palencia, sa ville natale, et cherchant de nouvelles aventures. Justement, il se trouve qu’en face de sa maison, est un couvent de religieuses. Un jour qu’il est allé avec son père entendre la messe à l’église du couvent, l’esprit tout plein de pensées coupables et délicieuses, il se sent tout à coup frapper sur l’épaule. « À genoux, cavalier, dit une voix argentine, on élève l’hostie. » L’impie don Juan obéit, mais non sans jeter un coup d’œil sur ce nouveau maître des cérémonies. C’est une jeune religieuse qui rougit, baisse les yeux, et baise la terre avec ferveur. « Ma sœur, dit don Juan, un mot. — Que voulez-vous ? — Êtes-vous l’abbesse ? — Non, je suis la tourière. — J’ai un secret à vous confier. — Un secret ? — Oui, un secret pour la plus grande gloire de Dieu. » Et un rendez-vous est donné pour minuit à la grille de la chapelle.

Marguerite la tourière n’a pas dix-sept ans. Elle ne sait rien du monde qu’elle n’a jamais vu, mais elle a lu en cachette un livre de Quevedo qui est plein de bien jolies choses. Elle s’en souvient lors de son rendez-vous. — Savez-vous, cavalier, qu’il y a dans ce livre une aventure qui ressemble à la nôtre ? — En quoi, ma Philis ? — En ce qu’un jeune homme attend dans la rue ; c’est vous ; une femme vient lui parler, c’est moi ; et… mais à propos, pourquoi m’appelez-vous Philis ? Je ne m’appelle pas Philis, mais Marguerite. — Philis est une bergerette bien gentille, de quinze ans tout au plus, qui a deux yeux noirs brillans comme le soleil, une peau plus blanche que les plumes du cygne, un corps plus svelte qu’un palmier, plus flexible que les joncs parfumés, deux mains plus belles que la nacre et le jasmin, etc., etc. — Bref, don Juan enlève Marguerite, et part avec elle pour Madrid. En passant par Valladolid, il rencontre son ami don Gonzalo, qui les accompagne dans la capitale. Six mois s’écoulent, au milieu des plaisirs. Don Juan commence à se lasser de sa religieuse, don Gonzalo en est devenu amoureux. Dans une orgie chez