Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
211
DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

plorable qui s’introduit dans la société avec son approbation et à l’abri du timbre royal. Nous ne blâmons donc que la tendance bien prononcée de l’administration à répandre l’usage du tabac. Nous croyons qu’en se substituant à l’industrie particulière, le gouvernement devait élever une digue contre l’envahissement d’une détestable habitude, et nous ne voyons pas avec la joie des financiers ministériels l’impôt des tabacs s’accroître, la consommation individuelle augmenter et tendre vers cette limite d’un kilogramme et demi par tête, qu’on croit pouvoir lui assigner.

Mais nous n’entendons nullement blâmer l’organisation de l’administration des tabacs, en tant qu’industrie destinée à rapporter le revenu le plus considérable qu’il soit possible de produire. Nous lui rendons au contraire cette justice, qu’elle a merveilleusement atteint le but qui lui a été assigné. Ainsi cette administration a porté un revenu, qui n’était que de 30 millions sous l’empire, à la somme énorme de 75 millions, somme qui s’est augmentée de 26 millions depuis 1830, et qui s’accroît chaque année encore de plusieurs millions. Il n’est pas sans intérêt d’examiner par quels moyens ce résultat a été obtenu, et nous nous proposons ici de faire connaître les rouages de cette administration laborieuse et modeste, de montrer combien est puissante à produire les meilleurs résultats l’organisation intelligente de tout travail. Nous ne savons si on voudra bien nous suivre dans tous les détails que nous serons forcés de donner tant sur la culture que sur la fabrication et la vente du tabac, détails quelquefois arides, mais qui éveilleront peut-être la curiosité. Nous les avons puisés dans les documens officiels fournis aux chambres par l’administration, et dans l’enquête faite sur le tabac de 1835 à 1837 par la chambre des députés.

Ce fait singulier, qu’une industrie tout-à-fait spéciale, destinée à satisfaire un besoin mensonger, fait entrer dans les coffres de l’état le vingtième des recettes annuelles, tous frais payés, ne provient pas seulement de ce qu’un impôt considérable pèse sur le tabac. Sans la puissante constitution que la régie a reçue lors de son organisation primitive, sans la centralisation qui fait concorder les moindres décisions et les mesures les plus secondaires avec le but essentiel de son existence, la régie n’aurait certes pas doublé ses bénéfices réels dans l’espace de vingt-cinq ans. Pendant les quinze années d’essais infructueux, de tentatives timides et vaines, qui précédèrent l’établissement du monopole, l’impôt du tabac n’avait pu produire plus de 12 millions, et l’état stationnaire du revenu attestait l’impuissance du régime chargé de le percevoir. C’est à des causes particulières, tout-à-fait spéciales, que cette industrie doit sa situation prospère ; ce sont ces causes que nous voulons faire connaître, dans l’espoir que les autres industries pourront en retirer des enseignemens profitables, dans la conviction que le gouvernement pourrait protéger toutes les industries comme il soutient et protége cette industrie spéciale, dont il s’est emparé. C’est donc la statistique du tabac que nous allons faire. On s’est souvent servi de la statistique pour entreprendre contre