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DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

vénéneuses. On compte un grand nombre d’espèces différentes de nicotianes, qui se distinguent les unes des autres par la forme et la grandeur de leurs feuilles, mais qui jouissent toutes des mêmes propriétés. La plante est annuelle et se compose d’une tige rameuse et cylindrique, haute de plus d’un mètre, ornée de feuilles très grandes, et présentant aux extrémités des rameaux de grandes fleurs roses, vertes ou bleuâtres, selon les espèces. Le fruit est une capsule ovoïde, pointue, renfermant un très grand nombre de graines très petites, irrégulièrement arrondies.

Toutes les parties de la plante et surtout les feuilles présentent une odeur qui est loin d’être agréable, et qui ne le devient, pour les personnes accoutumées à l’usage du tabac, qu’après la fermentation que subissent les feuilles dans la fabrication. Cette odeur irritante a sans doute indiqué l’emploi de la plante qui fut d’abord essayée comme remède universel contre tous les maux. Aujourd’hui il n’y a guère que la médecine vétérinaire qui s’en serve pour en composer une pommade contre les insectes qui attaquent la peau des animaux, ou pour en faire quelques lavemens irritans. Les maquignons de certaines parties de la France en administrent quelques grammes en suspension dans l’alcool aux chevaux vicieux dont ils veulent se défaire, et les plongent ainsi dans un état de somnolence qui masque momentanément leurs défauts. Cette plante renferme, en effet, plusieurs principes très actifs que la chimie a essayé de séparer. Malgré de nombreux travaux que des chimistes de toutes les nations ont entrepris, ces principes sont loin d’être tous connus ; le plus remarquable est la nicotine, que signala d’abord Vauquelin, mais dont la composition n’a été trouvée que depuis peu de temps. C’est un poison puissant qui tue avec une rapidité effrayante lorsqu’il est administré à très petite dose, mais très concentré, à un animal à jeun. Comme il n’entre qu’en très petite proportion dans le tabac, l’effet de ce poison est considérablement atténué dans les usages ordinaires de la plante ; il n’agit plus que comme un narcotique peu redoutable, lorsque par l’habitude on s’est prémuni contre son influence. Quant aux autres principes, ils ne sont guère connus que de nom, mais l’importance de la plante doit faire présumer qu’on ne restera pas long-temps dans la même ignorance, et que l’analyse chimique expliquera tous les effets toxiques et thérapeutiques du tabac.

Il paraît étrange, au premier abord, que l’on soit si peu fixé sur les modifications que le tabac introduit dans les fonctions animales ; mais quand on réfléchit que les résultats de son action dépendent des dispositions constitutionnelles et des conditions hygiéniques des personnes qui en font usage, et des diverses doses auxquelles on l’emploie, on ne s’étonne plus des variations innombrables que présentent les faits observés souvent sans beaucoup de soin et des difficultés qu’on rencontre à les coordonner. Quand on administre le tabac comme médicament, il engourdit par sa vertu narcotique les fonctions vitales ; comme poison, il anéantit ces fonctions après les avoir violemment excitées. Nous ne dirons pas toutes les guérisons extraordinaires qui lui ont été attribuées, ni tous les accidens qu’il a pu causer. Tantôt c’est le