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DU MONOPOLE DE L’INDUSTRIE DES TABACS.

tant 4 livres tournois la livre. La quantité totale de tabac vendu s’élevait à sept millions de kilogrammes, et la ferme faisait un bénéfice réel d’environ 6 millions de francs.

Sous le régime de la ferme, la culture était prohibée ; sept manufactures, situées à Paris, Dieppe, Morlaix, Tonneins, Cette, le Havre, Toulouse et Valenciennes, fournissaient à tous les besoins de la France. Trois provinces cependant, la Franche-Comté, la Flandre et l’Alsace ; avaient le privilége de la liberté de culture, de la fabrication et de la vente ; mais elles supportaient des impôts très lourds, dont le recouvrement se faisait au moyen des formalités les plus gênantes. Du reste, c’était aussi par des lois d’une rigueur extrême que la ferme défendait ses droits dans toute la France ; on ne se contentait pas de punir la fraude par l’amende et les galères ; des tribunaux spéciaux appliquaient même la mort aux coupables du crime odieux d’avoir soustrait à l’impôt quelques livres de tabac.

On pense bien que l’assemblée nationale ne laissa pas debout un régime aussi contraire aux idées libérales. Malgré l’opposition de l’abbé Maury, de Cazalès, de Barnave, de Mirabeau, elle décréta, le 24 février 1791, « qu’il serait libre à toute personne de cultiver, fabriquer et débiter du tabac dans le royaume ; que l’importation du tabac étranger fabriqué continuerait à être prohibée, et que le tabac étranger en feuilles pourrait être importé moyennant une taxe de 25 livres par quintal, réduite aux 3/4 pour les navires français qui importeraient directement du tabac d’Amérique. »

C’était donc un simple droit de douane que l’on substituait au régime antérieur ; aussi le revenu que le trésor retirait du tabac se réduisit presque à rien. C’est en vain que l’on diminua d’abord les droits d’entrée (décret du 5 septembre 1792) pour les rétablir ensuite en l’an V ; c’est en vain que l’on décréta en l’an VI que les droits sur les tabacs venant de l’étranger seraient augmentés de manière à donner un produit de 10 millions : ce n’était pas assez de décréter un revenu en principe ; il fallait déterminer les moyens par lesquels on parviendrait à le percevoir, et d’ailleurs les besoins de l’état, toujours croissans, sollicitaient une prompte réforme dans l’administration chargée de la levée des impôts. Le 22 brumaire an VII, on décréta un droit d’entrée de 30 francs par quintal sur les feuilles étrangères importées par les navires étrangers, et de 20 fr. sur les tabacs importés par les navires français. On assujétissait en outre à une taxe de 4 décimes par kilogramme le tabac fabriqué en poudre et en carotte, et à une taxe de 24 centimes le tabac à fumer et en rôle. La culture du tabac restait complètement libre. On prenait de nombreuses précautions pour assurer le recouvrement de l’impôt ; mais, afin d’éviter les formes vexatoires et contraires aux droits des citoyens, on chargeait les administrations municipales de la surveillance de la fabrication et de la vente. Cette surveillance était trop indulgente, car le revenu du trésor augmentait à peine ; aussi la loi du 10 floréal an X transféra cette surveillance à la régie de l’enregistrement, en même qu’elle augmentait les droits de fabrication, les amendes, et les précautions nécessaires pour assurer la