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la nature des sujets représentés, mais du mode, du style, du caractère de la représentation. On appela historique toute peinture composée et exécutée dans un mode noble, élevé, grave, destinée à transporter l’imagination dans cette sphère idéale de pensées, de sentimens et d’émotions qui est le domaine de la haute poésie. C’est ainsi que le paysage même, traité dans un certain goût, entra dans le genre historique. L’histoire, en peinture, a donc maintenant à peu près le même champ que l’épopée, la tragédie, la poésie lyrique en littérature. On y a joint dans ces derniers temps le drame et même le mélodrame. Ainsi agrandie, la peinture historique ouvre une carrière sans limites à l’invention de l’artiste moderne. La religion, la philosophie, la poésie, l’histoire, le monde matériel et le monde moral, tout ce qui peut être vu par les yeux, conçu par l’esprit, rêvé par l’imagination, lui est livré. Ce n’est certes pas la matière qui lui manque.

On pourrait croire que cette grande extension du domaine de la peinture historique a dû être favorable au développement de l’art. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher ce qu’il faut penser de ces conquêtes. Ces remarques n’ont pour le moment d’autre but que de justifier le rang que nous donnons, dans cette revue, à plusieurs tableaux, qui n’ont absolument rien d’historique dans le sens littéral, par exemple celui de M. C. Gleyre.

Cet ouvrage a produit dans le salon de cette année une sensation qu’on a rarement l’occasion d’y éprouver, celle de l’imprévu. On a pu voir ce qu’on n’avait pas vu depuis bien long-temps, une œuvre de peinture assez forte pour se soutenir seule, par sa vertu propre, sans autre élément de succès que le pur attrait de l’art. Il n’y a ici aucune de ces recettes banales de composition et d’exécution au moyen desquelles beaucoup d’artistes, même parmi les habiles, cherchent à fixer l’attention distraite de la foule, persuadés sans doute qu’il leur suffit, pour être admirés, d’être d’abord regardés. Le plus usé, quoique encore le plus sûr, de ces petits secrets du métier, c’est le choix du sujet et du personnel de la composition. Pour la plupart des exposans, c’est là la grande affaire, et non sans raison, car, le plus ordinairement, l’examen de l’œuvre prouve de reste qu’ils ont fait sagement de mettre de moitié dans leurs chances de réussite les noms, le rang, les habits, les titres et la renommée de leurs héros. La peinture de M. Gleyre n’a pas ce genre d’intérêt dramatique ou historique qui, loin de suppléer à celui de l’art, n’en fait souvent que mieux sentir l’absence ; mais elle peut s’en passer. Le sujet de sa com-