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élevé, ou autre, suivant la nature des sentimens et de la pensée qui lui sert de base, et il est d’autant plus difficile à concevoir, d’autant plus difficile à exprimer, qu’il porte sur les objets les plus hauts de nos facultés. C’est à cause de cela que, dans la hiérarchie des productions de l’art et des esprits, le premier rang dans l’admiration des hommes est acquis de droit aux œuvres et aux artistes qui ont réalisé l’idéal de l’ordre le plus élevé. Voilà pourquoi un Ostade sera toujours plus petit qu’un Poussin, pourquoi l’art flamand en général, bien qu’aussi riche et aussi parfait dans sa sphère, cède le pas à l’art italien. La peinture de genre vit aussi de l’idéal comme celle d’histoire ; l’art y est tout aussi créateur et au même titre, bien que ce qu’il crée soit d’un moindre prix. Cependant ce prix, malgré son infériorité relative, est encore assez haut pour suffire à l’ambition du talent le plus fort. Notre peintre Chardin a mis presque du génie dans ses tableaux de nature morte. Celui-là avait trouvé l’idéal d’un assortiment de quelques pots cassés, d’un violon, d’un vieux bouquin, d’un télescope, d’une clochette, d’un pain entamé, d’un citron et d’un oiseau mort. M. Saint-Jean a rencontré celui des fleurs. Avec une vingtaine de fleurs et de feuilles, arrangées en rond, il a fait une œuvre de main de maître, supérieure, sauf une ou deux exceptions, aux quinze cents autres tableaux du salon, parce que le sien est excellent dans son genre (il n’y a pas de mauvais genre), et que les autres sont médiocres, c’est-à-dire nuls, dans le leur.

Sous le rapport de l’exécution, M. Meissonnier nous paraît en progrès. Sa touche a acquis, ce semble, plus de sûreté, sans rien perdre de sa délicatesse. Toutes les parties sont traitées avec un égal amour de la perfection ; les têtes surtout sont d’une extrême finesse de forme et de ton, étudiées à fond, avec détail et précision, mais sans minutie. Il y a peut-être cependant un défaut de modelé et de rendu dans les jambes de son peintre, qui se laissent chercher. La couleur manque aussi un peu de ce ressort puissant qu’on admire dans les bons maîtres flamands et hollandais. Au reste, dans l’exécution de M. Meissonnier, il y a en général plus d’esprit et de finesse que de force et de décision.

C’est le temps seul qui classe les œuvres et y met leur vrai prix. Parmi ces quinze cents tableaux du salon, combien y en a-t-il d’assez forts pour pouvoir se soutenir après trente ans dans une galerie à côté des maîtres anciens ? S’il y en a deux, trois, celui de M. Meissonnier sera nécessairement du nombre, et, s’il n’y en a qu’un, ce sera probablement le sien.