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REVUE MUSICALE.

d’un grand chanteur, ne sauraient avoir cours sur la scène de l’Académie royale de musique, et dans un opéra affichant des prétentions sérieuses. Que dites-vous aussi de cette pantomime agaçante, de cette fureur d’aller et de venir, et de gesticuler sans relâche ? Nous recommandons surtout à l’attention du public un certain mouvement de bras sur la dernière mesure de l’introduction du fameux duo de la partie de cartes, et par lequel l’illustre virtuose, à genoux sur un carreau et renversée sur elle-même, a l’air de faire signe aux bravos de descendre des combles de la salle. On annonce que Mme Stoltz va jouer prochainement la Fenella de la Muette, un rôle de danseuse créé jadis par Mlle Noblet ; c’est sans doute pour préluder à ce nouveau caprice que Mme Stoltz s’évertue de la sorte dans Charles VI, pour rendre cette figure calme et naïve d’Odette, croit devoir s’inspirer de Mme Montessu dans la Fille mal gardée. Nous nous abstiendrons de parler de Duprez dans le rôle du dauphin. Évidemment il y est à la gêne, et sur un comédien qui chante par autorité de justice, la critique perd ses droits. D’ailleurs, nous respectons trop les arrêts du tribunal, pour rien oser dire qui puisse décourager Duprez, et le mettre de nouveau en rébellion vis à vis de son directeur. Quand il nous plaira de constater l’état où cette voix, jadis toute puissante, est désormais, nous irons l’entendre dans un rôle plus favorable, et moins fait pour soulever les répugnances d’un grand chanteur qui, tout déchu qu’il est, n’en conserve pas moins au fond de l’ame l’orgueil du premier rang, et à ce titre seul méritait mieux. Quant à Barroilhet, tel vous l’avez vu dans le Lusignan de la Reine de Chypre, tel vous le retrouvez dans Charles VI, avec cette différence toutefois, que le timbre de sa voix semble avoir souffert et perdu quelque peu de cette vibration métallique qui en constituait le charme principal. Barroilhet fera bien d’y prendre garde, et de porter toute sa sollicitude du côté de son organe, si délicat et si fragile dans sa force apparente. Il y a deux ans, nous disions, à propos des débuts de Barroilhet, que c’était là un de ces virtuoses de luxe qu’il faut, avant tout, savoir employer, un chanteur appelé à venir dire à un moment donné sa cavatine et son duo, comme Taglioni ou Fanny Elssler dansent un pas, mais incapable de tenir tête aux écrasantes conditions du grand opéra français. Nous sommes-nous trompé, et M. Donizetti, qui, certes, en sa qualité de maître italien, doit se connaître en voix, ne donnait-il point raison d’avance à nos critiques, en composant tout exprès, pour le transfuge de Milan et de Naples, la partie d’Alfonse dans la Favorite, partie de chanteur, s’il en fut, et qui côtoie les grandes situations de l’ouvrage, à la manière des rôles que Meyerbeer écrivait dans ses opéras pour Mme Damoreau ? Aussi ce rôle d’Alfonse dans la Favorite reste encore aujourd’hui la création la plus estimable de Barroilhet et son meilleur titre à la faveur du public. Avec son inexpérience de l’art du chant, et l’habitude qu’il a de traiter la voix humaine comme un trombone, M. Halévy ne pouvait que méconnaître les conditions du talent de Barroilhet. Deux opéras de l’auteur de la Juive coup sur coup, et deux fois un rôle capital dans ces opéras, il y avait là, sans aucun doute,