Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/321

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
315
REVUE MUSICALE.

et met comme la sourdine aux cordes du larynx. Aux avantages que nous énumérons ici, on reconnaîtra facilement tout ce que Barroilhet emprunte au brillant coryphée de l’école italienne moderne. La meilleure partie des succès qui l’accueillirent lors de son arrivée, Barroilhet la dut sans contredit à sa manière tout adroite d’imiter Ronconi. C’était même là l’originalité de ce chanteur.

Maintenant oserons-nous bien nous lancer à travers cette innombrable armée de virtuoses instrumentistes qui viennent chaque hiver s’abattre sur Paris des quatre coins de l’Europe, tous plus ou moins fameux, plus ou moins prodiges, plus ou moins illuminés au front d’un éclair de génie, rois d’un après-midi ou d’une soirée par la grace de leur piano, de leur basse ou de leur violon ? À ce propos, je n’ai jamais pu m’expliquer comment ce monde-là faisait pour se reproduire avec une si incroyable rapidité. D’une année à l’autre, ce sont des noms nouveaux, d’autres talens, d’autres chevelures. Cela pullule et fourmille, bourdonne et vibre, et multiplie au point que vous finissez par ne plus vous y reconnaître. Le héros d’hier se voit délaissé tout à coup pour l’heureux vainqueur d’aujourd’hui, qui, à son tour, cèdera la place au triomphateur sur qui l’étoile de demain se lèvera. Se souvient-on seulement à l’heure qu’il est du nom de certains virtuoses qu’on encensait naguère avec un fanatisme ridicule ? Qui parle de M. Vieuxtemps aujourd’hui ? Et M. Batta, l’angélique M. Batta, l’héritier du théorbe de sainte Cécile, se serait-il par hasard envolé vers le ciel sur les ailes du glorieux séraphin dont l’extase rayonnait dans ses traits, lorsqu’il chantait sur son violoncelle les mélodies langoureuses de Bellini ? En vérité, il s’agit bien de M. Batta : nous avons aujourd’hui M. Servais ; il s’agit bien de M. Vieuxtemps : voilà Sivori, le petit Italien à l’œil de flamme, à l’archet d’or, gnome issu de l’inspiration fantastique de Paganini. Et telle est la nature éphémère de ces illustrations sans consistance, qu’elle vous frappe non seulement chez les talens de second ordre, mais jusque dans les plus hautes renommées. Voyez M. Thalberg. Qui se serait attendu jamais à l’accueil froid et glacial qu’il a reçu cet hiver de la société parisienne ? À peine s’est-on informé de lui dans le monde, et l’unique fois qu’il se soit fait entendre en public, au concert donné pour Galli, le public ne lui a témoigné qu’un assez médiocre intérêt. D’où vient cela ? De pareils mécomptes ne sont-ils donc imputables qu’à l’inconstance du succès, et n’y aurait-il pas plutôt dans ces retours d’opinion un peu de la faute des virtuoses eux-mêmes ? En effet, à peine le succès se déclare en leur faveur, ces messieurs ne songent plus qu’à l’exploiter au profit de leur fortune. Un morceau réussit-il, soudain ils colportent ce morceau par toute l’Europe. Ils vont de Londres à Vienne, de Vienne à Berlin, de Berlin à Saint-Pétersbourg, puis nous reviennent toujours avec cet éternel morceau favori, qui, pour recommencer son tour du monde vient tâcher de reprendre un peu d’élan chez nous. Cette fois-là cependant, lorsqu’on voit que rien n’a varié dans ce jeu, que c’est toujours le même mécanisme savamment combiné, mais dépouillé du prestige des premiers jours, et dont une exploitation