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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

dans les raisons d’état[1] ! Or, comme M. Guizot avait remarqué que partout où les jésuites sont intervenus avec quelque étendue, ils ont porté malheur à la cause qu’ils défendaient, et que M. Villemain a déclaré devant l’Académie française que l’esprit de gouvernement et l’esprit de liberté repoussent avec une égale méfiance cette société remuante et impérieuse, on leur a répondu, avec une parfaite urbanité, que leurs paroles ne sont que « de sottes calomnies… de la mauvaise comédie de carrefours et de tréteaux[2] ! »

Ces aveux imprudens, ces étranges colères, ne doivent pas vous surprendre, monsieur ; ce sont là, dans l’état actuel de la société, les inconvéniens et les défauts inévitables du plan qu’on avait adopté. En reconnaissant tout à l’heure l’habileté des jésuites, je n’ai voulu parler que de cette adresse secondaire, de cette ruse qui fait réussir un moment l’intrigue, mais qui ne produit jamais de grandes choses, parce qu’elle manque à la fois d’élévation et de droiture ; car le ciel n’a pas voulu livrer le monde aux hommes qui ne possèdent que des qualités subalternes. Le projet de s’appuyer à la fois sur le gouvernement et sur l’opposition ne pouvait réussir qu’à la condition que le public ne pénétrerait pas ce dessein, et que toute cette affaire serait conduite avec le secret impénétrable qui pendant si long-temps présida aux délibérations de la compagnie de Jésus ; mais nous ne sommes plus au moyen-âge, et les temps où l’obéissance passive donnait une si grande force à l’église sont à jamais passés. Pour agir sur des peuples émancipés, sur des hommes accoutumés à la libre discussion, il faut écrire, il faut parler. Sous Louis XIV, les jésuites, qui, de tout temps, ont eu l’instinct du pouvoir, savaient, pour se consolider, flatter les maîtresses du grand roi ; actuellement, qu’ils veulent renverser, ils ont compris que le plus redoutable moyen de démolition, c’est la presse, et ils n’ont pas hésité à employer cet instrument de damnation.

L’organisation de la presse religieuse en France ne saurait être exposée ici ; pour le moment, je me bornerai à vous faire remarquer, monsieur, que les organes périodiques des opinions du clergé sont fort nombreux, et qu’ils ont adopté une forme de polémique qui rappelle les plus mauvais jours de la révolution. Tout en se dévouant pour les jésuites, ces journaux n’ont pas su éviter les dangers de la publicité. La presse, on le sait, a les qualités et les défauts de toutes les insti-

  1. Le Monopole universitaire, Lyon 1843, in-12, p. 77.
  2. Ibid., p. 86.