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LITTÉRATURE ANGLAISE.

mémoires. Miss Burney était devenue, comme on sait, mistriss d’Arblay, en épousant un émigré français de ce nom. Long-temps reine du roman, maîtresse de l’école à laquelle appartiennent miss Edgeworth et miss Austen, elle n’est plus aujourd’hui considérée que comme une ingénieuse imitatrice des défauts et des qualités de Richardson. Son journal[1], dont on a beaucoup trop parlé récemment, offre deux espèces d’intérêt et deux faces bien distinctes, l’une relative à la France, et qui est surtout amusante et curieuse par le grand nombre de personnages et d’évènemens français qui s’y trouvent réunis ; l’autre, tout anglaise, et qui se rapporte à la jeunesse de l’auteur de Cecilia. La portion française est la plus mal écrite, la plus obscure et la moins exacte des deux. Une fois dépaysée, miss Burney a perdu son talent ; elle a voulu écrire à la de Staël, comme elle le dit elle-même, et ce travestissement lui a porté malheur. Rien de plus simple et de plus net que le style de miss Burney dans Cecilia. Rien de plus embarrassé et de plus redondant que le style de Mme d’Arblay. Cette charmante causeuse la plume à la main, dès qu’elle veut se faire muse et pédante, devient horriblement ennuyeuse. Née pour l’observation fine et la précision du détail, souvent comparable à notre spirituelle

Mlle Delaunay, qui écrivait d’un style exquis ses mésaventures de dame de compagnie et ses mécomptes amoureux, miss Burney, quand elle prétend chausser le cothurne, tombe misérablement.

L’exemple de la France égara miss Burney. Alors nous étions montés sur le ton épique. La gloire légitime et victorieuse de M. de Châteaubriand brillait à côté des étincelans reflets de Mme de Staël. M. de Marchangy embouchait sa trompette, et M. Chénedollé la sienne ; les plus petites muses grossissaient leur voix en suivant la marche triomphale du conquérant Napoléon. Entre la gaudriole du caveau et les grandes phrases des bulletins, il n’y avait pas de milieu, et l’on écrivait un almanach du ton dont Marmontel avait écrit Bélisaire. Le moindre sujet se gonflait de toutes les graces de la circonlocution et de toutes les broderies de la rhétorique. La poule au pot de Henri IV se transformait en six vers alexandrins, de même que Du Belloy, dans un simple petit pain, avait trouvé, une amplification de huit vers. M. de Marchangy décrivait dans son poème le bouillon aux yeux d’or qui rit dans le vermeil, ce qui indique un excellent potage. Corinne même et Delphine ne sont pas exemptes de ce pitoyable

  1. Diary of mistriss d’Arblay.